Première bande dessinée en solo de Mathilde Van Gheluwe, Funky Town est une petite pépite : envoûtante, belle et étrange. Ouverture d’un triptyque dont on a hâte de découvrir la suite.
La ville de Funky Town ne semble jamais dormir : ses lumières brillent toujours de milles feux, éclatant la nuit la plus noire tandis que ses habitants semblent lancés dans une fête sans fin.
Au milieu de ce capharnaüm insomniaque où la foule est toujours compacte et mouvante, la petite Lele est pourtant très seule. Enfermée la plupart du temps avec sa mère, figure suave et énorme, dont les mots d’amour sonnent bizarres à nos oreilles, elle reçoit uniquement de courtes visites de la part d’un chat de gouttière. Cependant, ce dernier semble plus intéressé par la nourriture qu’elle lui donne que par la lecture des poèmes qu’elle écrit sans relâche…
Les rares sorties de la petite Lele sont pour se rendre en vitesse à la cabane de Baba Yaga pour y récupérer le « tu-sais-quoi », l’étrange potion que sa mère l’envoie chercher. Mais par dessus tout, il faut qu’elle évite de se faire remarquer par la foule bigarrée et riante de Funky Town car, pour une raison qu’elle ignore, la magie qui émane d’elle les rend comme fous. C’est ainsi que la petite fille passe ses journées, solitaire dans sa prison dorée.
Les personnages de Mathilde Van Gheluwe sont à la fois inquiétants et enfantins, avec leurs faces lunaires, leurs corps distordus et malléables. Lele ressemble un peu à un pierrot cassé, naïve et perdue au cœur d’en terrible secret dont elle ignore tout. Sa mère est telle une ogresse de contes, nue et gigantesque, tentaculaire malgré sa quasi-immobilité, tandis que Baba Yaga est coulante et mystique, tout droit sortie de légendes anciennes.
L’autrice puise en effet son inspiration dans des références de tous bords, mêlant notamment le folklore russe à l’ambiance space futuriste de la ville. Le résultat évoque l’univers des anime de Ghost in the shell de Mamoru Oshii ou encore celui du manga Amer Béton de Taiyō Matsumoto: sans âge, illusoire, à la fois sombre et lumineux, beau et inquiétant.
Quand aux dessins, ils sont magnifiques ! Tout est réalisé au crayon à papier, avec ses jeux de gris, de noirs profonds et de blancs éclatants. Ils renforcent ce sentiment de malaise qui croît avec la narration, grandissant au fil des pages : annonciateur d’une terrible tempête.
Mathilde Van Gheluwe est à suivre de très prêt, pour sa force narrative, sa mise en page riche et dynamique, son trait unique, enfantin et cruel. Le résultat est un livre aux multiples facettes, aussi ensorcelant que poétique.
Éditions Atrabile
Collection Flegme
144 pages
Caroline