Albin Michel, pour la rentrée littéraire, s’apprête à nous cueillir avec un immense roman américain pas par la taille mais par l’oeuvre. Une perle de la littérature US et qui à l’heure du ”Nature Writing” à outrance, apportent un vent de fraîcheur et nous rappelle les multiples visages de la littérature américaine. Dévoilant un portrait sans concession de l’Ohio et de sa jeunesse, Stephen Markley, en jouant avec les codes du roman noir et du roman social, prouve qu’il n’y a pas que Bret Easton Ellis pour souligner l’égarement de la génération perdue.
Un auteur à l’écriture élégante et fluide, qui donne souvent de l’espace à l’ambiance et aux ressentis. Stepehn Markley, dans un style faussement classique, n’oublie pas de se jouer de ses lecteurs et de les embarquer dans les tréfonds des ressentis et du questionnement sur le sens de la vie.
Ohio, New Canaan, des personnalités fortes mais paumées dans ce petit coin des États-Unis. Bill l’activiste, Stacey en quête du passé et de reconnaissance, Dan, profondément changé par la guerre et qui s’apprête à retrouver son amour de jeunesse et Tina, l’éternelle amoureuse de son tortionnaire vont se croiser durant une nuit, dans cette ville. Pour la plupart se connaissant de loin, et de leurs jeunes années au lycée. Une nuit, qui va être le prétexte pour faire revivre des souvenirs de jeunesse, et se remémorer les chemins parcourus. Mais également une nuit à s’interroger sur ce qu’est devenue Lisa Han, qui a fugué du jour au lendemain à l’époque du lycée.
Ohio est découpé en plusieurs fragments, en six parties exactement, six quasi-nouvelles, qui peuvent être prisent individuellement. Mais cet ensemble forme un tout, qui par le truchement des portraits raconte une histoire, celle d’un lieu, d’une ville, d’une région, d’une époque et d’une jeunesse.
Et puis, un autre portrait se construit par les détails, dans le fond tout d’abord, par quelques anecdotes au début, mais qui revient régulièrement et devient entêtant pour finir par nous sauter à la gorge sur la dernière partie et donner un sens dramatique et amer, comme un nouvel éclairage, sur cette jeunesse.
Ohio est une réussite magistrale, un roman choral puissant qui empreinte autant à Larry Brown, qu’Harry Crews et David Foster Wallace pour certaines digressions étrangement lucide sur une époque où jeunesse signifiait errance et désenchantement.
Stephen Markley maîtrise son sujet, et dans une écriture fluide et un rythme laissant respirer l’histoire, nous embarque dans son Ohio, à New Canaan, cotoyant cette jeunesse qui finira par devenir ses adultes déboussolés et déracinés.
Troisième livre de l’auteur aux États-Unis, mais premier en France, grâce à la traduction impeccable de Charles Recoursé, il est fort à parier qu’Ohio devrait marquer la rentrée, et nous rappeler à quel point un livre peut nous embarquer loin et nous faire chavirer dans des contrés que l’on n’aurait jamais pu soupçonner. Une grosse claque.
Albin Michel,
Trad. Charles Recoursé,
541 pages,
Ted.