Alors que Jean parcourt la forêt comme de coutume pour y exercer son métier de bucheron, il fait une découverte pour le moins surprenante : celle d’un nourrisson déposé sur la mousse, visiblement abandonné. Il le ramène donc à son foyer, afin de l’élever avec sa femme auprès de leurs six enfants. Cependant, le nouveau-né a une particularité : il mesure déjà quelques mètres et pèse plusieurs centaines de kilos : à croire qu’il s’agit d’un géant. Cela n’effraie en rien la famille d’adoption, qui l’aime sans jamais s’attarder sur cet imposant détail.
Les années passent et la « petite » Céleste ne cesse de grandir, jusqu’à devenir une jeune femme de prêt de vingt mètres. Ses frères quittent le foyer familial les uns après les autres, et chacun de ces départs l’attriste un peu plus, et elle s’aperçoit bien que ses parents ne la traitent pas exactement comme le reste de la fratrie… Et la cause de tout ceci n’est pas sa taille, mais le fait qu’elle soit une fille et non un garçon.
Un beau jour sa soif de liberté prend le dessus et elle se lance dans un long voyage à travers le pays, au court duquel elle va découvrir de somptueux paysages, des modes de vie différents et surtout croiser le chemin de personnes qui la feront grandir par leur bienveillance ou au contraire par un obscurantisme qu’elle devra affronter.
Céleste découvre alors le vaste monde : ses cimes escarpées battues par les vents et la neige, ses plages dorées aux eaux turquoise, ses villes érigées sur des traditions ancestrales, enlaidies par le puritanisme ou encore isolées par nécessité et besoin de survie.
Ses rencontres vont la mener à sans cesse s’interroger tout en la poussant à murir un peu plus chaque jour et à grandir spirituellement. Comme elle se questionne sur ses origines et sur l’existence potentielle des géants, elle va vite se passionner pour les livres et tout le savoir qu’ils renferment.
Mais les liens qu’elle tissent vont également faire travailler son imagination, sa créativité et surtout son empathie. Elle prend conscience de l’importance de partager ses connaissances et se dévoue volontiers aux plus démunis, même lorsqu’elle accède au pouvoir ainsi qu’à la facilité et à l’oisiveté tentatrices qui en découlent : elle fait donc preuve d’une grandeur d’âme qui n’a rien à envier à sa taille physique.
À travers Céleste, Géante interroge la place du corps de la femme : celui que l’on veut parfait selon des stéréotypes aussi cruels qu’inatteignables, dont on exige qu’il soit à la fois honteux et accessible, malléable et discret. Car elle est immense, curieuse et courageuse. Elle bouscule ces injustices et fait un pied de nez à des siècles de machisme ou de discrimination positive par son corps et par son esprit.
Les dessins et la palette de couleurs de Núria Tamarit sont enchanteurs et débordants de vie : ils retranscrivent à la perfection cet équilibre entre « intime et immense ». L’ambiance médiévale et la protagoniste géante font écho aux contes et aux légendes ancestrales, habitées par les chevaliers et les sorcières, mais pourtant il s’agit d’une bande dessinée engagée, qui soulève bien des questions et relèvent de nombreux problèmes tout à fait contemporains.
La quête de liberté qui anime Céleste croise celle d’autres personnages, ayant chacun leur propre manière de l’atteindre, de la vivre : c’est ainsi qu’elle se rend compte qu’il est très facile de sombrer dans la fuite ou le silence en pensant s’épanouir, et que surtout la notion de liberté d’une personne ne correspond pas forcément à celle que souhaite atteindre une autre. Et que c’est de cette incompréhension que né la domination ou bien la folie.
Voyage initiatique et contrées merveilleuses, scénario riche et illustrations envoutantes : Géante est une BD réussie haut la main, à ne surtout pas manquer.
Éditions Delcourt
195 pages
Caroline