Auteur de l’excellent The Golden Path dans lequel on suivait l’évolution de Jin Ha, une jeune fille passionnée par le Kung-Fu au point de lui consacrer sa vie, Baptiste Pagani revient en force avec Les lames d’Ashura, projet qu’il a développé et peaufiné pendant presque dix ans.
Le gigantesque continent de Kalandra et ses habitants se sont vus transformés à la suite d’importantes évolutions industrielles, et plus particulièrement celle de l’apparition et du développement tentaculaire d’un réseau ferroviaire de pointe. Si les échanges entre les villes et les villages les plus éloignés sont à présent grandement facilités, les convois sont surtout une cible de rêve pour les clans de brigands.
L’un des plus connus et craints est sans doute celui des Lames d’Ashura, du nom de l’impitoyable cheffe qui le dirige d’une main de fer. Uniquement composée de femmes, la bande comporte des fines gâchettes, des combattantes en arts martiaux, ou bien encore des virtuoses des armes blanches.
La matriarche a choisi trois de ses enfants pour lui succéder, tout en ayant conscience de leur complémentarité, mais aussi de leur antagonisme. Il y a la très sérieuse et pieuse Shota, la fougueuse Ikari et enfin le seul homme des Lames, Osman, qui est plus passionné par la danse que par les combats.
Comme dans toute famille, des rancœurs et des rivalités germent au fil des années : divergence de croyances, de choix de vie, de rapport à la violence… Les fissures menacent le trio et avec lui tout l’équilibre durement acquis par Ashura. Son héritage est mis à mal, au point où frère et sœurs vont passer du statut de famille à celui d’ennemis mortels, entrainant à leur suite une scission définitive du clan. Il y aura désormais celui du Phénix enragé et celui du Tigre blanc.
Dans cette incroyable dystopie, Baptiste Pagani a développé tout un univers aux inspirations sino-hindouistes. En piochant dans des éléments résolument modernes et d’autres très traditionnels, il crée un environnement tout à fait crédible dans lequel on plonge en un clin d’œil. Que ce soit les costumes, les villes, les paysages ou bien les cultures, tout est travaillé et cohérent, équilibré à la perfection.
Il y inverse les stéréotypes actuels liés au genre, en dessinant des femmes guerrières et des hommes ballerines, sans pour autant tomber dans une binarité tranchée.
On avait déjà pu admirer son travail de composition autour de la mouvance des corps : ici, il les met en scène en train de combattre, d’aimer et de danser pour leur survie comme pour leur perte.
Les lames d’Ashura a également des airs de western moderne et même de Mad Max, avec ses attaques de convois et ses pirates à moto. Mais l’album présente une certaine douceur, et même une véritable poésie. Les couleurs acidulées et aux prédominances de roses donnent une impression crépusculaire éclatante. Peut-être celui de ces amazones, ces frère et sœurs à la relation dissonante, mais qui restent pourtant indéfectiblement liés.
Une bande dessinée fouillée et complexe, possédant une histoire très dynamique et une esthétique éclatante.
Éditions Ankama
Label 619
160 pages
Caroline