La lecture du dernier livre de Frédéric Forte provoque une attention particulière à la façon dont s’est construite l’écriture. Le lecteur semble plus que jamais conscient du temps d’écriture. Le poète oulipien propose une poésie d’un quotidien intime. Nous allons perdre deux minutes de lumière se construit avec la phrase du titre. En effet, les lettres du titre transposées en braille composent chaque partie du livre. « Nous allons perdre deux minutes de lumière » a été prononcé par une présentatrice météo. Frédéric Forte a su à ce moment qu’il avait le titre du livre mais peut-être aussi son canevas. Ce qui est présenté à la lecture est donc l’articulation et la prise de conscience de cette phrase qui semble banale mais dont la puissance poétique est insoupçonnée.
Frédéric Forte déploie une poésie de l’intime où le temps se perçoit comme une mélodie. La phrase de la présentatrice météo est la concrétisation d’une période situable à la fin de l’été. Chaque événement que rapporte le poète n’est qu’un prétexte d’écriture pour vivifier cette phrase. Il y a une douceur dans cette écriture. On comprend que le poète parle de ses enfants et de ses proches. Son quotidien semble être le terreau d’un constant émerveillement. Pourtant Il restitue son intimité avec pudeur à l’inverse d’un sensationnalisme.
Plutôt que de défrayer la chronique, Frédéric Forte propose un art délicat de la restitution. Chaque élément apporté par l’écriture fabrique un temps qui devient mémoire. On pourrait comparer son écriture à l’exercice de la photographie, mais omnisciente, montrant toutes les dimensions d’un quotidien. Cette capture du temps, Frédéric Forte l’avait faite différemment avec Été 18 paru aux éditions L’Usage, mais avec la même volonté de parler du quotidien et de l’intime.
Nous allons perdre deux minutes de lumière est un livre dont la poésie apaise et ne remue pas pour rien. Frédéric Forte s’inscrit dans une tradition poétique proche de la poésie américaine à l’exemple de Ron Padgett. C’est une écriture qui cherche ses racines dans la vie courante, au-delà d’une illusoire quête chimérique. Chaque courant de la poésie contemporaine possède sa particularité et celle que propose Frédéric Forte semble accessible voire désirable. Quand nous refermons ce livre, nous avons la même nostalgie qu’une fin de vacances entre amis, avec l’envie d’y retourner et de revivre la douceur de la lumière.
Photo de couverture : Nina Medved
80p
Adrien