Courant Avril 2021 sortiront les quatre premier roman du label Courant Alternatif. Enragé, revendicatif, il s’empare de la fiction pour en faire un outil politique. Loin de la théorie parfois stérile ou de l’habituelle rhétorique militante, Courant Alternatif cherche l’insurrection, de pays en pays, à travers le roman et la littérature ! Pour en savoir plus, nous en avons discuté avec Meredith Debaque, éditeur et fondateur du projet.
Courant alternatif est un projet tout jeune. Pouvez-vous nous en raconter la genèse ?
C’était une idée qui traînait dans mon esprit depuis longtemps. Je regardais tous ces éditeurs libertaires, d’ultragauche qui sévissent dans les librairies et les salons avec des essais passionnants, des récits biographiques et (rarement) des romans vraiment engagés, souvent des classiques. Je voulais faire la même chose, mais uniquement en fiction, recreuser la veine des Jack London, pour ne citer que lui, afin de publier des romans contemporains, des romans stupéfiants, qui oseraient sans s’effrayer de leur idéalisme. Nous cherchons et proposons l’alternative avec de nouvelles voix peu entendues dans le circuit général, mais aussi peu entendues dans l’édition politique, la fiction de romanciers contemporains. Avec Christine Luce, Melchior Ascaride et une incroyable crew d’écrivaines et d’écrivains, j’étais déjà plongé dans la littérature engagée, en publiant SOS Terre et Mer, une anthologie humanitaire et bénévole dont tous les fonds ont été reversés à SOS Méditerranée.
J’en ai discuté avec André-François Ruaud, le directeur des Moutons électriques en 2018, qui a été séduit par l’idée d’une collection politique et exigeante. Après tout, les Moutons électriques n’ont jamais caché leurs propres engagements (notamment en soutenant SOS Terre et Mer à l’époque), et Courant alternatif en est la concrétisation. Je la dirige en toute indépendance, avec l’aide précieuse et indispensable d’Erwan Cherel, notre colporteur infatigable, et conseiller pour la direction, Melchior Ascaride, mon compère de toujours, qui a désigné l’identité graphique de la collection et bien sûr André-François Ruaud et Christine Luce, mes chuchoteurs de talents.
Quelle est la ligne éditoriale du projet ?
Nos romans sont engagés, expérimentaux et alternatifs. Nous publions des récits militants, des récits féministes, LGBT, libertaires, antifascistes, anarchistes, des réflexions politiques et humanistes de fond, qui ne se cachent pas sous le voile d’une neutralité confortable et commerciale. Mais un message possède la force de sa forme : la littérature, c’est une expérience du langage, un jeu avec les mots. Nous publions des romans stylisés, parfois à la limite de l’expérimentation littéraire, des plumes qui participent à cet engagement en créant des mondes fictifs à un pas du nôtre, des fictions politiques, écologiques, métaphysiques, des dystopies cauchemardesques ou des utopies réjouissantes.
Nous cherchons et proposons l’alternative avec de nouvelles voix peu entendues. Si la littérature est un dialogue entre l’écrivain et son lecteur, nous souhaitons proposer des interlocuteurs originaux. Christophe Gros-Dubois écrit sur les inégalités subies par les Noir.e.s avec un point de vue percutant et très personnel. Jayaprakash nous offre une vision de l’intérieur de son pays, l’Inde, et de ses fractures sociales aujourd’hui, perçues par sa génération. Quant à J.D. Kurtness, sa plume a toute la mélancolie, et ce mélange étonnant de douceur et de rancœur des Premières Nations québécoises.
Ce trio de grandes lignes est fluctuent, car aucun roman ne se ressemble. L’engagement possède bien des formes. Tant qu’il est honnête, personnel, et humaniste, Courant alternatif l’accueillera avec fierté.
Courant alternatif est présenté comme un label indépendant au sein de la maison d’édition « Les Moutons électriques ». On remarque d’ailleurs que des titres parus initialement chez les Moutons électriques sont annoncés en poche dans vos futures parutions. Quel sera donc le fonctionnement de Courant alternatif ?
Le poche en question est l’excellent Le Camphrier dans la ville flottante de Nicolas Labarre, une splendide fiction écologique douce amère sur la surinformation et les révolutions manquées. C’est une autre des raisons qui m’a poussé à créer Courant alternatif, car je suis responsable du travail éditorial sur ce roman. Les Moutons électriques publient du genre, de l’imaginaire, de la science-fiction et du merveilleux, cet excellent livre n’a pas tout à fait trouvé sa place dans une des collections trop genrées des Moutons. C’était en fait un proto-Courant alternatif, un livre court, engagé, percutant comme un naufrage de paquebot.
À part pour ce titre, particulier, la reprise poche d’ouvrages des Moutons électriques n’est pas prévue chez Courant alternatif. Par contre je veille, je regarde la production enthousiasmante des maisons d’édition indépendantes, et si un livre convient à la ligne éditoriale, je propose. Nous en avons déjà quelques-uns en négociations.
Pour le lancement du label, quatre romans sont annoncés. Pourriez-vous les présenter rapidement ?
Dans Paradis année zéro, Christophe Gros-Dubois renverse les dominations. Quand une catastrophe inexpliquée ravage les domiciles confortables des banquiers et grands bourgeois, les taudis du quartier noir, épargnés, se métamorphosent soudain en précieux refuges. L’enjeu annonce une guerre de territoire féroce, mais la communauté noire organise la résistance contre le capital avec à sa tête un champion de boxe déchu et une cascadeuse cynique. L’auteur transpose son combat dans un récit bourré de punch, la lutte des opprimés face au racisme institutionnalisé.
Avec Aquariums, J.D. Kurtness nous embarque dans le voyage de sa mémoire. Réunis sur un navire pour sauver le monde du désastre écologique, des scientifiques sont rattrapés, l’ancre à peine levée, par une pandémie qui dévaste l’humanité. Parmi eux, l’héroïne, seule dans l’immensité, submergée par les rafales du souvenir, le souvenir de son enfance, le souvenir de ses ancêtres Ilnus, le souvenir de son peuple perdu dans les eaux glacées du Québec. Tel un océan, l’écriture de l’autrice originaire des Premières Nations possède à la fois la sérénité d’une mer calme et la violence d’un ouragan.
Dans La Force de l’eau, Jayaprakash Satyamurthy ouvre notre regard sur l’Inde. Dans un pays immense, complexe, qui oscille entre modernité et tradition, entre liberté et fascisme, un couple d’étudiants, une femme et un homme, échange leurs corps et leurs esprits en quête de délivrance. La dureté de l’existence cédera comme le rocher cède au torrent, la force de leur union parviendra à les propulser vers d’autres possibles. Un roman puissant sur la fluidité des genres et la place de l’espoir dans une société au bord du fascisme.
Mécaniques sauvages, entrez avec Daylon dans Paris parmi les archétypes incarnés d’un monde métaphysique. La réalité elle-même est une forêt de symboles, ou plutôt un désert. Perdue dans des sables infinis, forteresse solitaire, Paris est assiégée de l’intérieur par des troubles politiques. Quand le peuple se soulèvera, il n’aura pas de mal à trouver la plage sous les pavés. Expérimentation littéraire et fiction politique, l’auteur interroge la nature humaine et le réel, et s’inquiète du danger de suivre des idoles de chair ou sacrées.
Inde, Antilles, France, Québec… Le catalogue de Courant alternatif semble n’avoir aucune frontière. Quelles en seront les prochaines destinations ?
C’est toujours un mystère. J’aime beaucoup l’Inde en ce moment, la littérature y bouge, s’y révolte Comme un besoin de liberté et de s’insurger contre le fascisme qui monte, les inégalités raciales et les fractures de caste. Avec une langue intéressante, qui explose parfois sur la page. Les Premières Nations québécoises ont également des choses à dire, et ils le clament avec l’art du conteur ancien, du réalisme magique original, aussi dur qu’envoûtant.
Sans oublier les Français, ce n’est pas comme si notre pauvre pays était exempt d’injustices. Alors, je fouille, et je lis, à la recherche de ces autrices et ces auteurs qui ne publient que trop peu, et dont les points de vue sont « rafraîchissants » et surtout radicaux. En tant que petit blanc, la lecture de Christophe Gros-Dubois tabasse franchement.
On note dans vos futures parutions un « grand classique moderne du féminisme américain ». Souhaitez-vous accueillir donc, en plus de romans contemporains, des rééditions ou des œuvres plus anciennes ?
Anciens, anciens… cela dépend beaucoup de l’esprit du livre. Honnêtement, je suis étonné par le modernisme de certaines parutions, sans doute jugées trop engagées, trop féministes ou antiracistes, qui n’ont jamais été traduites en France. Des fictions (toujours des fictions) qui ont obtenu des succès parfois colossaux dans leur pays d’origine, et qui n’existent pas dans notre pays. Va savoir.
Courant alternatif défend une littérature « engagée », « transgressive », « radicale », en publiant des romans « fâchés », « énervés ». Pourquoi ce positionnement ? Pensez-vous qu’il faille bousculer la littérature, ou la société contemporaine ?
Cette idée est la fondation de cette collection. Bousculer, expérimenter, s’insurger. Écrire ce qu’il ne faut pas dire, sans être proclamé idéaliste ou islamo-gauchiste, ou le terme à la mode de l’extrême droite actuelle et des centristes mous. Bousculer la littérature également, mais cette volonté se doit d’être commune à tous les écrivains, la volonté de proposer des écrits nouveaux, originaux, différents.
Face à la grande gueule avide du capitalisme qui profite du fascisme rampant et qui feint d’ignorer le cataclysme écologique, face à ce monde qui néglige le vivant, et face à cette idée malsaine trop souvent entendue qui prétend que l’idéalisme est de la naïveté, de l’optimisme immature, Courant alternatif souhaite rappeler que croire et se battre pour un avenir meilleur n’a rien de naïf et de vain. Au contraire, cette lutte est pragmatique, c’est la seule façon de progresser, et, pour certains d’entre nous, d’exister. Soyons radicaux, soyons fiers.
Pendant le confinement de mars 2020, de nombreux débats avaient eu lieu autour de la surproduction éditoriale. Quel sera pour Courant alternatif le rythme de parution, et comment vous situez-vous par rapport à ces débats ?
Je ne publierai que des romans essentiels. Mon programme sera rythmé par nos découvertes parce qu’il est hors de question de diluer le programme de Courant alternatif, d’émousser son impact en publiant pour publier. Impossible donc d’affirmer avec certitude la quantité de publication, elle sera arythmique, comme un cœur en colère.
Pour finir, un coup de projecteur sur des projets à venir ?
Nous sortons en fin d’année un nouveau roman de Nicolas Labarre : Warhols Invader, une fiction politique sur l’information. Le postulat est aussi simple que riche : et si l’informatique avait eu 20 ans d’avance dans sa démocratisation générale ? Imaginez les élections et le monde des années 60 où tout le monde possède déjà des consoles, des proto personal computer et se connectent aux réseaux. Imaginez la lutte à cette époque entre la communauté du libre et l’instrumentalisation de cet internet du passé. Comme tous les romans de cet auteur, le bouquin est recherché, à la fois crédible humainement et historiquement.
Dans le futur, Courant alternatif accueillera du réalisme magique nigérien, un livre sur le tourisme en Asie, une dystopie sud-américaine, un livre kafkaïen indien. C’est enthousiasmant de partager notre idéalisme avec le monde entier.
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