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Nikos Kazantzaki L'ascension couverture

Nikos Kazantzaki – L’ascension

Les éditions Cambourakis publient en inédit mondial L’ascension de Nikos Kazantzaki, un roman mêlant fiction et autobiographie. Au travers de sa lecture, on retrouve les prémices d’idées que l’auteur développera dans ses futurs ouvrages, notamment Le Christ recrucifié ou La liberté ou la mort. Y éclosent aussi les concepts maillant son oeuvre, tels que la dualité de l’esprit et de la chair, ou encore la volonté de l’élévation autant spirituelle qu’intellectuelle.

À la mort de son père, Cosmas rejoint sa Crète natale qu’il a délaissée depuis des années. À son bras se tient sa femme Noémi, une Juive polonaise, marquée pour toujours par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale qui s’est achevée il y a peu.
De ce pays enfin retrouvé émergent des souvenirs mais aussi des drames. Cosmas prévient sa jeune épouse : si « le vieux » est mort, son âme hante encore les lieux, personnifiée par la veilleuse constamment allumée dans la maison familiale pendant les mois de deuil. Gare à cette figure paternelle terrible, qui ne s’est jamais abandonnée au rire ou à la paix, et qui a emprisonné sa fille, l’effaçant au reste du monde et à sa propre vie ! Et quel accueil réserve-t-elle à ce fils qui s’est occidentalisé, qui a choisi le métier d’écrivain et qui a oublié si longtemps sa patrie ?

Aux côtés de son mari, Noémi va découvrir les moeurs crétoises, mais aussi les ravages que la guerre y a laissés au fer rouge. Ensemble, ils traversent une île presque vidée de ses hommes, où des villages entiers ont été brûlés par les nazis et dans les décombres desquelles survivent femmes, enfants et vieillards.
À la vue de cette terre originelle laissée comme exsangue, Cosmas décide de partir pour l’Angleterre afin de fonder un parti intellectuel pour éviter au monde contemporain de s’autodétruire, inquiété notamment par les avancées nucléaires. Ce voyage, il le fera seul, laissant Noémi en Crète, abandonnée au cœur d’un pays où il lui est impossible de s’acclimater, dévorée par un mal-être terrible.

Il quitte donc de nouveau son pays baigné de soleil pour se rendre dans la grisaille paisible de la campagne anglaise. Là, il s’entretient bel et bien avec des intellectuels, les meilleurs même. Son rêve de constituer un mouvement pacifique d’ampleur mondiale se voit brisé aussitôt, lorsqu’il remarque avec amertume que ces hommes semblent être autant de Narcisse, chacun vautré dans son bien-être étriqué et aveugle aux problèmes mondiaux.
Continuant son voyage en dehors des quartiers tranquilles de Londres, Cosmas va également être confronté à la réalité des villes noires et miséreuses, défigurées et habitées par des figures amaigries et tristes. L’angoisse qu’il ressent pour le futur de l’humanité s’en trouve alors renforcée, et débouche sur le travail cathartique de l’écriture.
À la suite de ce pèlerinage déraciné, il s’assoit enfin pour esquisser les premières formes de son obsédante intuition, qui portera le nom d’Ascèse.

« Il croit conquérir le bonheur et libérer l’esprit. Car c’est son titre de noblesse, son blason : il luttera jusqu’à la fin des temps pour substituer ses propres lois aux lois inhumaines de la nature. Il a façonné des créatures idéales et pures à l’image de son plus profond désir – la justice, égalité, le bonheur pour tous. Mais cela n’existe nulle part ailleurs que dans le désir de l’homme. »

« Ces villes noircies n’ont pas à te montrer des peintures, des palais, de vieilles églises et des légendes romantiques. Elles sont nouvelles et laides. Mais il faut que tu le saches, c’est le visage actuel de la terre, notre mère. Un visage tourmenté, mâchuré, couvert de rides. Quand tu la verras, tu l’aimeras. Cette mère parle plus à notre cœur qu’une belle dame bien entretenue est bien vêtue. »

Outre le voyage littéraire dans lequel nous plonge L’ascension, on y trouve les prémisses de personnages futurs et de scènes à venir, mais surtout de nombreux échos à la vie même de Nikos Kazantzaki. Par exemple, l’auteur a en effet été désigné pour parcourir la Crête à la fin de la Seconde Guerre mondiale afin d’y constater les crimes perpétrés par les nazis, a souhaité fonder (en vain) un mouvement Internationale de l’Esprit et a éprouvé une forte déception en s’entretenant avec les intellectuels de l’époque, lors de voyages en Angleterre…

Cosmas est donc un héros en miroir, dévoré par le même besoin d’écrire que son créateur. Ils sont tout deux tourmentés par la culpabilité de laisser derrière eux famille et patrie et surtout habités (pour ne pas dire hantés) par le combat de lutter pour la paix et la liberté. Comme dans les autres écrits dont il est en quelque sorte la matrice, ce roman est jonché de questionnements métaphysiques antagonistes qui prennent ici corps aussi bien à travers la Crète et l’Angleterre (nations opposées l’une à l’autre, aussi bien par leur climat que par le tempérament de leurs citoyens) que le protagoniste lui-même. En effet, Cosmas va jusqu’à souffrir physiquement d’un conflit intime entre son esprit et son enveloppe charnelle (mal que l’on retrouve également dans Le christ recrucifié pour des raisons similaires, et dont Nikos Kazantzaki aurait lui-même souffert).

Enfin, la scène finale relie pour de bon la fiction à la réalité puisqu’Ascèce n’est autre qu’un roman-pilier de l’auteur lui-même. Le voyage initiatique semble alors prendre fin et le travail de création commence dès lors, venant compléter l’incroyable mosaïque de l’œuvre de Nikos Kazantzaki.

« Noémi lui avait raconté qu’un rabbin, un vieux sage ami de son père, expliquait toujours la Bible par des contes. Ses amis et ses élèves se plaignirent un jour à lui : « pourquoi t’exprimes-tu  toujours par des contes et des paraboles ? Tu es savant, pourquoi ne montres-tu pas ta science, ne nous parles-tu pas de grandes idées ? » Et le vieux rabbin répondit : « Moi, quand j’ai une grande idée, je ferme la bouche, je ne dis rien je la laisse mûrir dans ma tête, pour qu’elle descende de la tête dans les reins, pour qu’elle devienne ma chair et mon sang. Et lorsque j’ai compris que la grande idée a mûri, lorsqu’elle est devenue un conte, alors j’ouvre la bouche. »

 


Éditions Cambourakis
224 pages
Traduit du grec par René Bouchet
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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