Antoine Dufeu produit en tant qu’écrivain et journaliste un ensemble de textes regroupés en plusieurs cycles. On peut lire une explication de son travail en fin d’ouvrage. Sofia-Abeba suivi de MZR font partie de l’ensemble La diagonale du vide et du sous-ensemble Nouvelles du globe. Ces deux textes se répondent avec en contre-point un texte de Trotski parlant du train dans lequel il opéra durant la guerre civile russe.
Ces trois textes font écho à une écriture à la première personne. Il y a le «je » fictionnel de Sofia-Abeba, l’autobiographique de Trotski et celui mêlant fiction et réalité avec MZR. Chaque personnage décrit son quotidien et dit quelque chose du monde comme il va, de la guerre civile russe au déclin du capitalisme en passant par celui du communisme autoritaire.
Sofia-Abeba est le journal intime d’une jeune adolescente bulgare née en Éthiopie. Sa lucidité donne un aspect surréel à ses écrits. Elle raconte son quotidien à Sofia et explique la réalité de son pays, vivant la chute des régimes communistes après la catastrophe de Tchernobyl et avant la chute du mur de Berlin. On voit aussi l’autoritarisme qui sévit dans ce type de régime. Elle questionne son identité en ne se focalisant pas sur son origine éthiopienne. Cette originalité d’être une jeune fille noire dans un pays de l’est européen ne semble pas avoir plus d’impact sur la fiction. Ainsi on se concentre sur son quotidien d’adolescente bulgare rêvant de partir en France.
Le train est un texte qui fait la transition avec MZR et illustre l’effort de guerre de Trotski et du rôle essentiel que joua le train durant la révolution. D’un train à un autre, MZR débute dans un trajet Paris-Brest avec un personnage que l’on identifie vite comme étant Jérôme Kerviel, le tradeur qui fut une figure centrale en France de la crise de 2008. MZR veut dire « mes zombies rodent ». Le texte est ici plus évasif et moins descriptif que Sofia-Abeba. On perçoit un Jérôme Kerviel plus lunaire, cherchant à se disculper des pertes de la banque où il travaille. Antoine Dufeu le voit comme un être tiraillé entre deux gouffres : son propre égo et son éthique.
Sofia-Abeba suivi de MZR sont deux textes d’une apparente simplicité sur le monde contemporain. Mais lorsque l’on comprend qu’ils composent un ensemble, on déduit que le travail d’Antoine Dufeu se rapproche de celui de l’historien ou du sociologue. Il évoque avec clarté la chute des deux mouvements économiques qui ont régi la fin du XXème siècle. Son style volontairement neutre offre une caisse de résonance aux troubles des périodes évoquées. Chaque personnage possède sa propre lucidité et évolue comme un maître de guerre à l’instar de Trotski.
Ainsi ces textes parlent du monde et nous aident à comprendre notre société actuelle. Antoine Dufeu l’éclaire en faisant vivre le passé par la fiction et l’écriture. On comprend que l’individu navigue dans les grands mouvements politiques comme on navigue dans une tempête. La jeune adolescente de Sofia-Abeba est un symbole de force tandis que Jérôme Kerviel dans MZR serait plutôt le grand perdant. Antoine Dufeu décrit l’individu comme un être en constante évolution avec plus ou moins de difficulté selon son degré d’implication dans la société.
176p
Adrien