Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
Adaptation en bande dessinée du livre homonyme de Robert Badinter, Idiss dresse le portrait intimiste et bouleversant d’une femme et de sa famille traversant les époques troublées du XXe siècle.
Idiss, ses parents et ses trois enfants vivent dans un shtetl, un petit village juif de la Bessarabie tsariste (l’actuelle Moldavie). Schulim, son mari, est militaire au service du Tsar et n’a pas donné de nouvelles depuis cinq longues années. Dans cette contrée autrefois appelée le Yididishland et aujourd’hui disparue, la vie est rude : les hivers sont rigoureux et Idiss peine à joindre les deux bouts, ne trouvant presque rien pour chauffer ou nourrir sa famille. Malgré l’absence de nouvelle de son époux, elle tient bon et porte tout son petit monde sur ses épaules, avec bienveillance et amour. Elle va même jusqu’à risquer la prison pour contrebande, afin de pouvoir apporter un peu de confort à ses enfants et ses parents vieillissants.
Sa patience et sa foi en son couple vont payer, car Schulim revient de l’armée en parfaite santé et reprend son travail de tailleur. Mais les affaires vont mal et, possédé par le démon du jeu, il dilapide ses maigres gains en un battement de cils… À l’ambiance maussade viennent s’ajouter des nouvelles inquiétantes : un pogrom éclate à Kichinev, le premier d’une longue série de massacres collectifs visant les juifs.
Deux millions d’entre eux décident alors de fuir (notamment vers la France) en quête d’une vie plus prospère et libre, plus juste. Idiss, son mari et sa fille quittent alors leur contrée natale et leurs souvenirs pour rejoindre le reste de leur famille déjà installée à Paris. Dans la capitale, la famille connait la joie et s’agrandit ,développe des commerces prospères et goûte à un bonheur paisible, enfin. Analphabète et parlant uniquement yiddish, Idiss est très proche de son clan pour qui elle est un véritable pilier.
Cependant, les malheurs ressurgissent : la maladie de Schulim et surtout la Seconde Guerre mondiale et sa vague d’antisémisme, de rafles et d’horreurs.
Richard Malka et Fred Bernard proposent une adaptation fidèle et émouvante au livre Idiss de Robert Badinter, dans lequel l’auteur rend hommage à sa grand-mère. Au travers du portrait de cette femme incroyablement digne, forte et rayonnante d’amour, le récit familial rencontre la grande Histoire. De par leurs croyances et les époques troublées qui ont émaillé le vingtième siècle, la famille de Robert Badinter a été victime et témoin du fascisme.
La force de cette bande dessinée, en plus du devoir de mémoire qu’elle transporte, est qu’elle s’adresse aussi bien aux adultes qu’aux enfants. En effet, le travail d’illustration des Richard Malka illumine et adoucit le propos, le rendant ainsi accessible à tous les âges, universel. Pudiques, ses planches véhiculent le flot d’émotions contrastées qui jalonnent la vie d’Idiss et des siens : la misère et le déracinement puis la liberté et même la prospérité. Mais toujours accompagné en fond d’un sentiment d’urgence et de menace, du grondement de la discrimination aveugle et cruelle. La survie et la résilience marquent en effet ce livre, mais c’est surtout l’amour qui irradie entre ses pages.
D’une justesse bouleversante, Idiss est à la fois un hommage dessiné à la grand-mère de Robert Badinter, mais aussi (et peut-être même avant tout) une fresque familiale marquée par une affection indéfectible.
Rue de Sèvres
128 pages
Caroline
