C’est avec une joie non contenue et un peu d’émotion que je vous partage la lecture d’Anna et Pablo, toute première bande dessinée réalisée par ce cher Bolä. Passionné de cartographie, de chèvres et d’illustration, ce jeune auteur a déjà imaginé une sacrée épopée, publiée sur son blog Papier Feuille (où l’on peut se délecter de ses aventures fictives en Finlande, au milieu fjords et des créatures mystiques). Cette fois-ci, il laisse la neige et les saunas pour se plonger dans une ambiance brûlée par le soleil écrasant d’une Amérique du Sud fantasmée. Attachons vos ceintures, car un road trip plein de surprise nous attend !
En plein milieu du désert de l’Heazim, Anna et son père Pablo roulent depuis plusieurs heures pour atteindre… un but inconnu. À demi-mot, on devine qu’ils ont fugué pour fuir l’hôpital où Pablo était placé en soins intensifs, se lançant tête la première dans une course contre la montre où la tension et les non-dits sont palpables. Car il semblerait que ce soit bien la première fois que ces deux-là partagent vraiment quelque chose, bien conscients que le temps joue contre eux.
En effet, ce voyage impromptu est surement le dernier du patriarche, et donc l’ultime occasion pour lui de renouer avec sa fille et de rattraper le temps perdu.
De son côté, Anna semble prête à exploser à chaque instant. Il faut dire qu’elle déborde de toute l’incompréhension et la rancœur qu’elle a nourrie pendant des années : pourquoi est-ce que son père fait donc subitement appel à elle pour réaliser ce qui ressemble bien à ses dernières volontés ? Elle qu’il a toujours oubliée au profit de ses quatre autres frères et sœurs ?
Sur la route, ils tombent sur un troupeau de lamas et leurs bergers sympathqiues, sur des pompistes chauds pour la bagarre, des locaux un poil énervés, mais surtout sur une certaine Izel, qui semble décidée de leur coller aux basques.
Cette dernière, avec son immense chapeauté son enthousiasme débordant, pourrait bien perte la clé de cette relation père-fille cacophonique. S’il n’est pas trop tard.
Bolä dresse une galerie de personnages attachants, parvenant à transmettre la personnalité et les questionnements de chacun en un clin d’œil. Le caractère nonchalant du Pablo entre souvent en friction avec le tempérament de feu de sa fille, créant des situations rocambolesques et pleines d’un humour tendre.
De plus, on comprend en quelques pages que l’on suit différentes quêtes, propre à chaque personnage : quête du pardon pour l’un, de la reconnaissance paternelle pour l’autre. Il s’agit donc d’un seul et unique récit constitué de prismes à la fois contradictoires et complémentaires.
Fidèle à lui-même, l’auteur distille un peu d’absurde et de magie dans son récit, tout en créant un équilibre subtil avec des thématiques plus profondes : la fatalité de la mort perçue par différentes protagonistes ou encore la complexité des relations familiales
Les planches sont un vrai régal pour les yeux : les couleurs chaudes véhiculent l’atmosphère écrasante du désert, on sent la poussière nous piquer la peau et le soleil nous aveugler. Il faut dire que Bolä sait modeler des ambiances crédibles, pour s’amuser ensuite à y placer des personnages en décalage (imaginant des figures anthropomorphiques ou chimériques par exemple).
Ce road trip mêlant spiritualité et relation père-fille marque un sans-faute, faisant d’Anna et Pablo une première bande dessinée réussie, au style graphique maitrisé et à la narration inventive.
Éditions Lapin
128 pages
Caroline