Pow-wow
Rassemblement festif, coloré, étincelant. La musique et les chants aux harmonies envoûtantes, jubilatoires et puissantes accompagnent les concours de danses. Les costumes s’animent au son du tambour et au rythme des danseurs. Broderies, perles assemblées en d’impressionnants motifs multicolores, coiffes majestueuses ornées de plumes d’aigles et plastrons d’os. Gastronomie et artisanat, c’est une magnifique célébration pour que la tradition reste vive et pour cultiver le lien entre les tribus.
Indiens urbains
C’est précisément vers le Grand Pow-wow d’Oakland que convergent les personnages de Tommy Orange. Pour en finir avec les stéréotypes éculés, et parce que la majorité des Amérindiens vit maintenant en ville, Ici n’est plus ici aura donc un cadre urbain, avec pour point de chute le Coliseum. Dans un étrange syncrétisme, c’est en effet ce stade de baseball et de football américain qui accueillera le Grand Pow-wow, acte final du récit.
Douze personnages, chacun en proie à la détresse sociale, Cheyennes ou métis, nous donnent à voir la diversité de la communauté des autochtones. Victimes de la pauvreté, violences, passages en prison ou alcoolisme, la vie les malmène depuis plusieurs générations. Ils sont le reflet de tout le mal qui a été fait à leur peuple. Pour tous, cependant, la question de l’identité se pose : que signifie être Indien aujourd’hui ?
Derrière l’image véhiculée par les médias de masse et de la pop culture, se trouvent de vraies personnes dont il est important de connaître l’Histoire, et les histoires personnelles. Le personnage de Dene Oxendene, membre de la tribu des cheyennes et arapaho d’Oklahoma, tout comme Tommy Orange, décrit parfaitement le projet de son auteur en recueillant lui-même des témoignages d’Indiens d’Oakland pour en faire un film documentaire :
Nous n’avons jamais vu l’histoire urbaine des Indiens. Ce que nous avons vu regorge de toutes sortes de stéréotypes qui font que personne ne s’intéresse à l’histoire des Indiens d’Amérique en général, c’est trop triste, si triste que ça ne peut pas être divertissant, mais surtout, à cause de la façon dont elle est décrite, elle prend un tour pitoyable et nous perpétuons cela, sauf que non, tout ça c’est des conneries, passez-moi l’expression, mais ça me rend malade, parce que le tableau d’ensemble n’est pas pitoyable, et que les histoires individuelles qu’on rencontre ne sont pas pitoyables, ni faibles, n’appellent pas la pitié, elles sont pleines d’une vraie passion, d’une rage, et c’est une des choses que j’apporte au projet, parce que c’est ce que je ressens moi aussi, c’est cette énergie-là […].
Lutter contre l’oubli
Ces douze destins se révéleront finalement davantage liés les uns aux autres qu’on ne le pensait. A travers les mois de préparation du Grand Pow-wow et ce que les personnages pensent y trouver, Tommy Orange nous délivre le second grand message de son texte : la tradition doit rester vivante, pour ne pas être oubliée.
Comme le dénonce l’auteur dans plusieurs de ses interviews, garder une image passéiste des Indiens fait partie d’une stratégie gouvernementale. Les figer dans le passé pour les effacer plus sûrement. Dans les années 1950, la politique d’assimilation a poussé les Indiens vers les grandes villes, hors des réserves, pour en faire des Américains “comme les autres”. Mais il existe bel et bien une tradition qui perdure, et qui a fait renaître ailleurs ce qu’on a tenté de faire disparaître.
Le personnage d’Orvil Red Feather illustre parfaitement la résilience des autochtones. Jeune adolescent, il ne sait presque rien de ses origines indiennes. Pourtant, il apprendra seul les danses du pow-wow grâce à des vidéos sur YouTube. Edwin Black, quant a lui, retrouvera son père, Cheyenne, grâce à Facebook. Métis, il s’interroge aussi sur son identité en écoutant A Tribe Called Red, collectif de DJ canadiens issus des Premières Nations.
Être indien en Amérique n’a jamais consisté à retrouver notre terre. Notre terre est partout ou nulle part.
Certes, la terre qu’a connue ses ancêtres est aujourd’hui recouverte par une Amérique bien différente. Leur ICI n’est donc plus vraiment ici. Mais la tradition, portée d’autant de façons différentes qu’il y a d’autochtones, reste vive. L’écriture de Tommy Orange en est la démonstration vibrante. Edité par Albin Michel en 2019, il rejoint dans la collection “Terres d’Amérique” Louise Erdrich, Sherman Alexie et Joseph Boyden, trois auteurs qui l’ont beaucoup inspiré.
Albin Michel, collection Terres d’Amérique (2019)
Titre original : There there.
Roman traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Roques
352 pages.
amélie