Dans l’équipe de « Un dernier livre avant la fin du monde », nous étions déjà très admirateur du travail des éditions Demain les flammes, et vous avions déjà parlé des excellentes traduction de Aaron Cometbus (Ici et Ici). En avril 2021, c’est un roman français, « Le samovar » que publie cet éditeur Toulousain. Initialement écrit en 2012, Le samovar est le premier roman de Nicolas Rouillé, qui écrira ensuite « Timika » (2018) aux éditions Anacharsis.
Tristan est un jeune étudiant, sans grande motivation. Inscrit en BTS surtout pour contenter sa famille, il se cherche, soucieux d’échapper à la voie qui semble l’attendre : « une résidence avec Digicode ou pire, un pavillon cerné d’une haie. »
Lorsqu’il arrive un peu par hasard au Samovar, squat historique, pour réparer son vélo, il ne se doute pas qu’il y restera pour longtemps. Fasciné par les personnes qu’il y rencontre et la dynamique collective du lieu, il finit par s’y installer, délaissant pour de bon ses études pour s’investir dans cette nouvelle vie trépidante et joyeuse.
« Je mets deux bonnes semaines à m’habituer. Ici, préparer le café, prendre une douche, faire la vaisselle, aller aux chiottes, tout demande réflexion. Avant quand j’avais besoin d’eau j’ouvrais le robinet, point. Maintenant je me demande si c’est d’eau potable dont j’ai besoin ou si l’eau de récup du toit suffit ou si j’ai besoin d’eau tout court. Un seul robinet est raccordé au réseau, on s’en sert pour boire, faire le thé et le café, c’est tout. Pour rincer les légumes, prendre sa douche ou faire la vaisselle, c’est l’eau de la citerne et encore faut y aller mollo avec Jeannot qu’est une espèce d’ayatollah de la flotte. Avec un litre d’eau, il fait une vaisselle pour vingt et après il vide la bassine dans le piano pour arroser les plantes. […] »
«Le samovar » pourrait être vue comme un roman d’apprentissage, répondant aux impératifs du genre, mais transposé de nos jours dans le milieu squat et autonome. Tristan, jeune adulte sans grande culture politique, sera amené tout au long du récit à se questionner, à évoluer. Et ce sont ses interrogations et les nombreuses discussions tout au long du « Samovar » qui font le sel de ce roman, permettant à l’auteur d’aborder de manière pédagogique des sujets tels que les violences sexuelles, les violences policières, les difficultés interpersonnelles, la pauvreté, l’accueil des personnes migrantes ou en situation difficile…
Autant de questions qui structurent la pensée et les réflexions des milieux squats, mais qui peinent parfois à sortir de ces marges.
Et il y a la vie du squat elle-même, que l’auteur décrit avec beaucoup de précision et de tendresse. Rare sont les romans évoquant les squats sans tomber dans les clichés sordides. Ici, l’auteur connaît son sujet et il ne cache ni les formidables moments de poésie, ni les périodes les plus sombres et violentes.
« En traversant la cour, je jette machinalement un oeil aux châssis, je comprend tout de suite que quelque chose cloche. Je suis sur de les avoir bien refermés après avoir arrosé. Il flotte une sale odeur de friture froide qui soulève le coeur. Je m’approche et la je constate le désastre : les vitres explosées, la moitié des plants écrasés, le reste balancé à travers la cour[…] »
« Le samovar » est un roman qui traite d’une autre manière de vivre. Ses personnages, tous différents, y sont arrivés par une multitude de chemins plus ou moins choisis, plus ou moins violent. Mais ensemble, ils vivent et créent quelque chose de plus grand que leurs simples conditions.
Cet espace, le squat, et ce mode de vie sont constamment attaqués, par la mairie et ses plans d’urbanisation ou par des militants de droite et d’extrême-droite que leur mode de vie dérange. Ce roman est aussi le récit des luttes collectives pour défendre ce lieu et le droit à d’autres modes de vie. « Le samovar » se lit comme un roman, avec ses personnages attachants et ses tableaux militants, mais il est surtout un immense plaidoyer et une invitation à toutes et tous de découvrir ces espaces d’autonomies et de vie que sont les squats et autres friches, et a les défendre collectivement.
« A quatorze heures vingt, on entend les premières sirènes. Les sonnettes préviennent par portables celles et ceux du rond-point concerné qui allument un grand feu de palettes et de pneu avant de se barrer. La consigne, c’est pas d’affrontement. Les flics doivent attendre que le feu s’éteigne avant de libérer le passage puis ils foncent à travers le parking désert vers les autres points d’entrée. Et la, c’est reparti, caddies, palettes, poubelles sur le rond-point tout juste libéré pendant que les autres allument le feu et se tirent. »
Le samovar,
Nicolas Rouillé,
Demain les flammes
278 p.