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Charlotte Bourlard L'apparence du vivant couverture

Charlotte Bourlard – L’apparence du vivant

On ne saura pas son prénom, on supposera son âge et on s’imaginera ses traits. De la narratrice, on saisit quelques bribes par-ci par-là, des fragments d’un passé brutal où elle a côtoyé et admiré la mort. Malgré tout, un sentiment de proximité se crée, un triangle intime se dessine entre elle, nous et Madame Martin à travers les lignes de L’apparence du vivant, le premier roman étrange et beau de Charlotte Bourlard.

Les funérariums ne sont jamais synonymes d’épanouissement et de légèreté, et pourtant c’est là qu’une jeune photographe en marge de la société va faire la rencontre des Martin, un couple de croque-morts à la retraite. Monsieur reste alité de jour comme de nuit, à la fois indifférent au monde qui continue sa course sans lui et toujours très élégant dans ses complets chics. Madame s’occupe de lui amoureusement depuis son accident.
La jeune fille va se superposer à leur quotidien, se couler aux côtés de la vieille dame et devenir son apprentie et sa complice : ensemble, elles déambulent dans les rues abimées de Liège, dépensent la fortune lentement accumulée par les Martin au Casino et se défoncent au sirop… Quand elles n’exercent pas leur talent de taxidermiste, redonnant éclat et splendeur à des corps exsangues et salis. 

Je vérifie la température de l’eau.. Elle aime que je la voie nue. Sa peau est pâle, presque translucide. Les sillons qui fouillent son corps creusent les contours de son squelette. Sa chair abîmée dessine des vagues qui me bouleversent.

Je la dépose dans la baignoire. Elle me sourit, fabuleuse dans la lumière du soleil. Je place dans sa main droite la louche en argent de leur mariage. La vapeur de l’eau l’enveloppe de brume. Je mouille ses longs cheveux blancs. Elle verse sur son corps des petites cascades d’eau fumante qui ruissellent entre les plis de son passé. Je m’agenouille pour la photographier. “

Photographie et taxidermie, deux pratiques visant à capturer la fugacité de la vie, et peut-être en profiter pour réajuster quelques plumes ou un souvenir.

Charlotte Bourlard mêle le grotesque au poétique avec une virtuosité rare. Une tendresse unique amène du duo atypique, formé par ces femmes rencontrant respectivement la mère et la fille dont l’existence les a privées.

” La deuxième fois que j’ai vu un mort, il respirait encore. […] On était au milieu de l’été, il était tôt, peut-être cinq heures, il faisait déjà clair.
Je l’ai trouvé sur un banc, la tête contre la barre latérale, le corps bizarrement tordu. Il était d’une beauté irréelle. Des cheveux blonds de bébé, un visage d’ange, des lèvres bleues qui lui donnaient un air de Pierrot endormi. “

Les corps grincent, se fanent et tombent en poussière silencieusement. Les mots heurtent. Et pourtant, une délicatesse irradie de cette plume incisive et crue, auréolée d’humour noir. On s’attache à ces deux-là, malgré leurs bizarreries tabous et leurs éclats de folie désinhibés. Malgré leur cruauté d’enfant. Après tout, la fascination pour la mort est universelle et la peur de décrépitude physique et mentale nous hantent, et ici Madame Martin et sa complice apprivoisent leurs cassures, les enjolivent en se foutant bien de ce qu’on pourra dire d’elles.
On dirait même qu’elles parviennent à rendre les défunts plus beaux que de leur vivant, en capturant un instant de splendeur, la force de l’âge ou bien un envol. Les titres de noblesse sont ainsi restitués selon leur bon vouloir, dans le secret du funérarium où le temps reste en suspend. 

L’apparence du vivant est un roman d’une beauté macabre, où la mélancolie et l’amour débordent de manière monstrueuse, brillante. 

La vieille me sourit, nue dans son cercueil en orme satiné. « Regarde comme je suis morte ».
Pas encore Madame Martin.

Éditions Inculte
132 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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