Le livre d’Élodie Issartel ne pourrait être qu’un énième livre sur l’entrée dans la vie adulte d’une jeune femme. Dans Out of the blue, Lucie débarque à Paris après une enfance en Province. Elle travaille dans une friperie. Elle maîtrise le sens du hashtag, se prend régulièrement en photo, essaye de faire bonne figure dans les milieux branchés. Elle désire plus que tout faire du cinéma, passe un entretien pour une école où se ressent toute la violence d’une société patriarcale. Elle est prise dans cette école de cinéma, se retrouve en section scénario alors que ce qu’elle voulait, c’était réaliser des films. Elle ne se sent aucune capacité à écrire quoique ce soit. Le professeur, qu’elle maudit autant qu’elle désire, donne un devoir à faire, parler individuellement d’un film marquant. Alors Lucie cherche, tombe sur le film Out of the blue de Dennis Hopper, que beaucoup de ses ami.e.s considère uniquement comme un réalisateur réactionnaire et has-been. Mais la vision de ce film ira bien plus loin pour Lucie et le livre d’Élodie Issartel deviendra bien plus qu’un roman banal sur la jeunesse.
Le lecteur ou la lectrice habitué-e des Éditions Vanloo savait bien que derrière Out of the blue se cachait bien plus que le récit d’une jeune femme perdue dans la vie adulte. Ce livre raconte une histoire d’engloutissement, d’une jeune femme qui se fait happer par le personnage de Cebe interprétée par Linda Manz. Lucie est obnubilée par elle, par cette jeune fille qui s’extirpe de la génération perdue de ses parents et qui répète à tout de champ : « Kill all Hippies ». Cette héroïne devient pour Lucie le reflet de ses propres frustrations, de ses propres galères et de cette colère concentrée avant dans les aimants qu’elle pressait entre ses mains au fond de ses poches. Le livre d’Élodie Issartel raconte une transformation hallucinée, sous le spectre d’un film culte, d’une histoire d’époque déchue et de rêves perdus.
L’écriture que l’on retrouve dans Out of the blue est compacte, aiguisée pour faire jaillir la vie de Lucie dans les têtes des lectrices et lecteurs. On la reçoit comme une décharge, un coup porté à nos vies bien tranquilles. Lucie se déploie pour devenir signifiante, pour démontrer cette capacité qu’ont certains films à nous happer, à changer nos vies. Out of the blue raconte bien cet étrange rapport que nous entretenons avec le cinéma, cette capacité à y voir des doubles fantomatiques qui nous hantent telles des fantômes. Le film de Dennis Hopper est depuis peu ressorti en salle sous son titre original et pas cet affreux titre mensonger choisi pour sa première sortie en France : Garçonne. Car Cebe n’est pas une simple garçonne ou une fille trop masculine. Non, elle est une fille qui marche les poings serrés, qui décide de ne pas accepter son sort.
Le lien entre le livre d’Élodie Issartel et le film de Dennis Hopper est ténu, les deux histoires sont construites avec le même souffle, le film venant aspiré, plutôt qu’inspiré le livre, tel un vampire. On retrouve finalement dans ce livre une analyse très poussée du film culte. Il est difficile de séparer l’un de l’autre, lire Élodie Issartel sans voir Dennis Hopper peut se faire, mais on ne saisira pas ce qui fait la puissance de l’histoire de Lucie, car nous aussi nous sommes poussés à interroger notre rapport au personnage de Cebe, à son histoire et à cette cruauté qui créa une génération désenchantée à laquelle on affubla le terme de punk. Out of the blue, le livre autant que le film, est un point d’ancrage sur les désillusions, un regard juste sur comment se détricotent nos rêves. Le film et le livre sont comme un panneau comme pour signaler le danger quand une génération sacrifie tout pour se bercer dans l’illusion d’une liberté absolue.
156p
Adrien