Dans Déplacer le silence d’Etel Adnan, on lit d’abord une voix qui vient d’une dame de 95 ans, installée en Bretagne où elle observe l’océan depuis sa fenêtre. Cette voix est connectée au monde et à ses catastrophes, les incendies de Californie, la guerre en Syrie et le réchauffement climatique. Cette voix provient d’un corps vieilli, qui se confronte à l’idée de mort. Et ce qui émeut encore plus en lisant cette voix est de savoir qu’Etel Adnan est décédée le 14 novembre 2021. Déplacer le silence est alors un testament, l’empreinte de cette voix importante qui se connecte au monde entier, et même à l’univers, au cosmique.
Etel Adnan semble écrire ce texte sans véritable but, juste déposer des mots les uns après les autres. « Il y a quelque chose d’hypnotique à aligner les mots, quelque chose d’addictif. ». Cette écriture est une parole adressée. Quand elle découvre un texte écrit par une intelligence artificielle et qu’elle est bouleversée par sa beauté, elle dit que finalement le seul poète qui existe est le lecteur. Cette vision de l’écriture, libérée de toute posture, apporte une joie immense à la lecture, car ses mots, qui ne cherchent pas à défier le silence, nous sont apportés comme une parole réconfortante.
Ce réconfort, on le trouve malgré le bouleversement que provoque en cette voix les traumatismes du monde. Cette dame de 95 ans ne nous fait pas la leçon. Nous ne sommes pas ici dans le cliché de la sagesse de l’âge. Etel Adnan écrit ces paragraphes comme un geste de peintre, pratique qu’elle exerça en parallèle de l’écriture. Il y a ici aucune figuration. La voix peut autant parler d’elle-même, d’un repas avec des amis, d’un séjour à Paris que de l’héritage de la mythologie grecque, aux explorations sur Mars. Etel Adnan apparaît dans Déplacer le silence comme traversée par une multitude de rayons lumineux.
Cette lumière semble si importante dans cette voix qu’Etel Adnan nous lègue. Il faut recevoir Déplacer le silence comme un don de lumière pour affronter le réel, une incandescence qui dévoile le monde tel qu’il est, autant terrestre que cosmique. Il n’y a aucune illusion, aucune croyance illégitime, simplement une écriture qui transmet tellement de forces sans pourtant le vouloir. C’est d’ailleurs parce que c’est involontaire que la voix d’Etel Adnan réussit à nous réconcilier avec nous-même. Avec cette liberté d’écriture et celle de notre lecture, ce livre devient une transmission ultime dont on gardera longtemps en tête les paroles et la douceur de la voix.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Valéry
90p
Adrien