Après Pâture de vent paru aux Éditions Verdier en 2019 et une réédition en 2020 de Testament (d’après F. Villon) aux Éditions Dernier télégramme accompagné d’un enregistrement sonore, Christophe Manon revient, avec Provisoires, à une poésie résolument lyrique. Ce recueil, paru aux Éditions Nous, est aussi un témoignage sur la nécessité de la poésie, art des mots captant ce qui échappe aux flux des phrases communes. Provisoires développe, en 5 séries et en un dernier poème, le thème de la fugacité qui compose nos vies. Les poèmes y sont sculptés dans un lyrisme assumé et moderne. Ce ne sont pas des chants copiés sur ceux d’antan, aux relents passéistes. C’est une vraie poésie d’aujourd’hui, qui parle du sensible, que seul un poète tel que Christophe Manon est capable de restituer.
L’exaltation des épiphanies comme des douleurs constitue l’art du poète creusant son langage. Dans le cœur du poème, aucune ponctuation ne viendra rompre le flux, troublant parfois la compréhension de ce qui est dit. Mais ce minime effort de lecture ne nous empêche pas d’être emportés par ces déclarations. Christophe Manon compose avec ce qui échappe, ce qui traverse et file entre les mailles de notre conscience. La poésie comme langage est la seule apte à capturer toute l’incandescence de ces éléments provisoires. Le poète l’utilise comme pour se placer dans un autre temps, ni celui des discussions ni même celui des grands discours.
Le lyrisme de Christophe Manon n’est pas autoritaire. Il est libre de toute connexion au temps et aux effets produits. C’est un lyrisme vagabond et libertaire, ne cherchant pas à faire propre. Car Christophe Manon est loin du cliché de l’intellectuel littéraire à la Goethe. Provisoires propose un ton libre, se démarquant par sa capacité à capter le sensible. Cette poésie nous restitue ce qui nous échappe dans les larmes de joie ou de tristesse, ce que l’on n’a pas su dire ou écrire, quand l’intensité nous laisse muets ou mièvres. On ne peut pas en permanence vivre avec cette intensité sans y laisser des forces, alors on renonce souvent à s’exprimer.
Christophe Manon est le poète qui se confronte frontalement à cette sensibilité. Il navigue avec son écriture dans les plus grandes tempêtes émotionnelles. Il fonce tête baissée, ou plutôt yeux ouverts et oreilles tendues, dans ce qui est le plus bouleversant, ce qui clos les yeux de celles et ceux pour qui cela est intenable. Mais le travail poétique de Christophe Manon est de s’y attaquer, avec autant de courage que de perspicacité. Les poèmes de Provisoires sont à garder près de soi, dans le creux de nos corps fragiles, pour combler nos absences de courage et avoir conscience de ce qui rend la vie terriblement complexe.
96p
Adrien