Alexandra Badea signe avec Points de non-retour [Diagonale du vide] le volet final d’une trilogie qui exprime au mieux le douloureux héritage du passé colonial français. Dans chaque pièce de cette trilogie, le passé et ses fantômes réapparaissent pour hanter les personnages. Du massacre de Thiaroye, en passant par celui des quais de Seine, jusqu’à ces « enfants de la Creuse », la dramaturge y illustre le lourd tribut qu’a laissé la colonisation sur notre présent. Alexandra Badea met en lumière, avec ce troisième volet, une histoire trop méconnue, celle d’enfants réunionnais transférés par les autorités françaises dans les départements dépeuplés de l’hexagone. Ils ont été livrés à eux-mêmes dans les centres de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) ou dans les familles d’accueil, victime de multiples violences.
Points de non-retour [Diagonale du vide] est construit comme les deux autres pièces de la trilogie. On retrouve le personnage de Nora qui souhaite filmer ces anciens enfants devenus adultes de retour dans ces lieux où ils furent contraints de grandir. Parmi eux, il y a J-b, qui vient d’une île lointaine et dont on comprendra qu’il représente ce scandale d’État que fut le transfert d’enfants réunionnais. Les personnages se heurtent violemment à ce passé douloureux. Dans ce retour sur le lieu des drames enfouis, ils tentent d’en démêler ce qui empêche le dialogue. Dans une écriture au plus proche du sensible, Alexandra Badea fait ressortir le point de non-retour, celui qui a laissé une blessure toujours vive au sein de ces anciens enfants.
Cette trilogie, à voir sur scène ou à lire à L’Arche Éditeur, est un moyen pour nous de comprendre ce qui marque quand un territoire impose sa domination sur d’autres, ce que cela fait aux humains de vivre dans un pays qui a masqué sa violence et son histoire coupable. Quand certains cherchent encore des bienfaits à la colonisation, d’autres réfléchissent aux blessures laissées sur les êtres. Depuis Thiaroye, des quais de Seine ou de la Creuse, cet héritage colonial douloureux se transmet par le théâtre d’Alexandra Badea dans une quête de rétablissement de la vérité. On cherche dans cette trilogie à guérir des traumas trop longtemps dissimulé sous de vieilles légendes républicaines. Ces Points de non-retour constituent des étapes pour apprendre à nouveau à vivre ensemble. Alexandra Badea propose une œuvre qui empêche le déni et retisse le passé et le présent dans un même élan réparateur.
112p
Adrien