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Anne Carson Rouge Doc > couverture

Anne Carson – Rouge Doc >

Trois personnages antiques arpentent notre siècle, évanescents et insaisissables. Tempête triptyque de leurs pensées fragmentées, Rouge Doc > nous entraîne dans un flot de mots, un ras de marée tourbillonnant où les repères sont dilués. 

Dans cette suite de l’Autobiographie du rouge, Anne Carson déploie un texte modelé en une verticalité étroite et dense, où les anciens protagonistes s’égarent sur les chemins ondoyants du voyage initiatique. 

De ce que les choses sont pour lui les choses concrètes cette spirale toujours plus noire toujours plus noire qui descend. Sa beauté a disparu. Sa force est brise. Il hait la pitié. Un courant de vagues noires le traverse. L’impuissance et lui allongés par terre. Ses propres bras se jettent sur son corps. Prométhée continue à haranguer l’univers.

Il y a Géryon, enveloppé d’une paire d’ailes écarlates, du même rouge que les crépuscules incendiaires ou les paysages brûlés par trop de rêves. On le retrouve sous l’appellation d’une simple et unique lettre « G », fidèle à sa mythologie il est le berger d’un troupeau de bœufs (ici devenus musqués, doux et paisibles, parfois aériens). Il croise le chemin de son amour perdu Héraklès, vétéran hanté de la guerre surnommé Sad But Great. Ils seront accompagnés par Ida, dont on ne sait si elle est nymphe insaisissable ou montagne aux fractures souterraines. 

Ida dans l’embrasure de cette porte. C’est un moment qui en changera plus d’un mais elle ne revient pas à la porte avant un long moment. Pourquoi les sous-sols posent-ils toujours problème. Ida se perd souvent dans les sous-sols bon disons le Ida se perd souvent. Même avec carte et boussole. Les espaces changent de forme quand elle a le dos tourné plus rien ne colle des blocs entiers glissent et tombent au fond de la réalité du jour.

Ce trio se lance alors dans un road trip halluciné, entretoisant leurs fêlures à celles et ceux qui traverseront leur route. Anne Carson en rassemble les fragments par touches poétiques, nous enveloppant d’une mélopée polyphonique qui habite et obsède. Cette symphonie de pensées heurte les repères, des êtres antiques sont érodés par l’existence moderne, aveuglés par les néons d’un hôpital psychiatrique où vont carillonner leurs fragilités. Le dedans et le dehors se confondent sous le ressac formé par les mots de l’autrice qui confronte corps charnels et célestes, vie et mort, légende et humanité. Les temporalités s’enlisent et la spatialité haut/bas s’émousse, s’infiltrant à la lisière de notre esprit pour s’y engouffrer. Et enfin s’y installer comme un soupir. 

Anne Carson étoffe Rouge Doc > d’allégories envolées, jouant avec les creux et les pleins de son texte qui inspire et expire entre nos mains. 

Il s’agit d’un livre palpitant et rouge comme un cœur, qui monte crescendo pour finalement entrer en éruption à la manière d’un volcan merveilleux. D’une expérience de lecture hors du commun, où la poésie tend un miroir aux traumas et aux souffrances enracinées. Leurs traits sont tordus puis adoucis et nous, sonné·es par tant de virtuosité.

Au crayon rouge G avait souligné la phrase où Proust observe la surface momentanément troublée de l’œil d’une personne qui vient d’avoir une pensée qu’elle ne vous dira pas. La pensée trace une fêlure dans la prunelle avant de s’enfoncer dans ses profondeurs remuées. Observer le sillage.

Anne Carson Rouge Doc >

L’Arche, collection des écrits pour la parole
Traduit de l’anglais par Vanasay Khamphommala
176 pages
Caroline 

À propos Caroline

Chroniqueuse

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