Dans la moiteur étouffante du Mississippi, des chasseurs tombent nez à nez avec des ossements humains noircis. Rapidement, la police intervient et dépêche l’un des meilleurs anthropologues du pays afin de définir les circonstances du décès, et remonter jusqu’à l’identité de ce corps anonyme sur lequel seuls quelques indices subsistent : une dent en or, quelques cheveux tressés, une femme au cou brisé. Mais dans les années 70, les analyses ADN sont encore au stade de balbutiements et personne ne semble avoir signaler de disputions inquiétantes concordant avec l’affaire. Après quelques tentatives d’investigations infructueuses, l’inconnue endosse alors le nom de Jane Doe, sobriquet qu’on donne aux personnes non identifiées, qu’elles soient vivantes ou mortes.
Ce n’est qu’en 2010 que le dossier sort de l’oubli, déterré par le Lieutenant Versiga au milieu d’un tas de cold cases poussiéreux. Reconnu comme l’un des meilleurs policiers de la petite ville de Pascagoula, il détient un instinct et un sens de l’observation redoutables qui lui permettent de résoudre des enquêtes, là où bien d’autres ont échoué. Mais surtout Darren Versiga est bien loin de l’image du flic ripou ou encore du prédateur sans vergogne. En effet, il possède une profonde gentillesse couplée d’une empathie aiguë, de celles qui instaurent un climat de confiance et une sympathie immédiate.
Sa vie est marquée par des hauts et des bas, ponctués de succès et de malchance sans pour autant s’enliser dans l’existence ordinaire du tout venant. Car le Lieutenant a embrassé tour à tour les carrières de boxeur, détective privé et inspecteur, et a bien connu la tranquillité d’un confort assuré que la colère aveugle de l’ouragan Katrina. Malgré tout Darren Versiga reste fidèle à sa nature franche et honnête et continue d’aller de l’avant, prenant soin de ses proches, mais aussi des victimes qui viennent toquer à la porte de son bureau. Il se donne corps et âme à son boulot et à sa famille dans un souci constant d’être au service des autres, habité par un engagement civique inébranlable.
Le jour où il croise la route fragmentée de Jane Doe marque le début d’une traque de longue haleine qui va s’étendre sur plus de dix ans. Sans jamais rien lâcher, il va rassembler patiemment chaque pièce du puzzle afin de découvrir l’identité du tueur, mais aussi celui de ce corps abandonné au silence du bayou puis à l’anonymat d’une boite en carton numérotée.
” Des années plus tard, alors qu’il se trouve sur le siège passager d’une voiture traversant le Texas, l’inspecteur Versiga est habitée par la même ardeur. Engagement civique sur son temps libre ou inspecteur de police, il s’agit du même sacerdoce. Darren Versiga a la passion des oubliés. Il veut les retrouver, parce que personne, selon lui, ne mérite d’être abandonné aux ténèbres. Cela peut paraître un peu présomptueux, mais il a l’impression de rendre service à L’Humanité. ”
Raphaël Malkin brosse le double portrait d’un homme et d’une histoire incroyables, qui harponne toute l’attention du lecteur jusqu’à la dernière ligne. S’il commence ce tableau saisissant d’une « vie de flic dans le Mississippi » par une intrigue allégorique, il en poursuit la narration en s’appuyant sur des faits authentiques et en partageant le quotidien de Darren Versiga, figure non pas brodée du fil blanc de la fiction, mais bel et bien réelle.
Et oui, car il s’agit de la biographie romancée du Lieutenant Versiga, que l’auteur a eu la chance de rencontrer et avec qui il a tissé un lien d’amitié fort. À travers les yeux de ce héros (extra) ordinaire, c’est un bout des États-Unis hors du temps qui nous apparaît, encore marqué par le racisme et la ségrégation. Sa droiture et son acharnement à obtenir justice notamment aux noms de femmes noires dont les homicides étaient traités à la légère ont permis à ces « victimes et marginales que la société avait déjà enterrées » de retrouver un minimum de dignité, dans la vie comme dans la mort.
Son quotidien n’est pas un long fleuve tranquille. Parfois ses espoirs viennent se fracasser contre des murs obtus, il se heurte à des culs-de-sac, les indices se perdent dans les eaux troubles du bayou où sont emportés par la rage de terribles tempêtes. Mais toujours il se relève, et continue à avancer, guider par un souci d’équité et d’altruisme à toute épreuve. Un récit captivant, qui palpite d’une réalité horrifique et d’une grandeur d’âme inspirante.
“Dans les rainures naturelles de vieilles lattes, il verse un peu de vernis qu’il mélange à de la poudre de couleur, souvent bleue, parfois verte. Après un temps de séchage, de peignage et de brossage, le bois se retrouve traversé de longues traînées phosphorescentes. Darenne Versiga appelle ça des « rivières ». Il dit que c’est le flot de son esprit qui coule dans ces morceaux de bayou. Sa poésie le fait rire.”
Marchialy
300 pages
Caroline