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Jeff Vandermeer – Borne

Jeff Vandermeer a su imposer son style en très peu de temps. Avec Annihilation l’auteur imposa son univers et sa signature au grand public, et donna un coup de projecteur sur le genre de la « New weird ». Nous pouvons même dire qu’il en est le principal bâtisseur à ce jour, avec China Mielville, à avoir réussi à faire autant rayonner le genre dans le monde littéraire. ( Il y a Danielewski qui est souvent cité, mais lui c’est encore autre chose, ça reste avant tout de la métafiction).

Nous avions beaucoup entendu parlé de lui avec la trilogie du Rempart Sud ( Annihilation – Autorité – Acceptation) et le film qui fut adapté du premier volet par Netflix, réalisé par Alex Garland avec Nathalie Portman et Oscar Isaac. Mais il serait dommage de ne le réduire qu’à cette trilogie. Ainsi, Jeff Vandermeer est un boulimique de l’écriture, qui depuis la fin des années quatre-vingt ne cessa de publier et petit à petit d’affiner son style et de proposer un univers à part donnant la part belle à l’incompréhension et au mystère face à ce que nous ne connaissons pas. Nous avions eu le parfait exemple dans le cadre de la ZONE X dans Annihilation, soulignant ainsi l’interrogation et l’impuissance face à cet inconnu.

Et Borne n’échappe pas à la règle. Nous suivons Rachel, une récupératrice, travaillant et cohabitant avec Wick, un ancien employé de la compagnie, qui fut licencié à la suite d’une expérience ayant mal tourné. Nous ne savons que très peu de chose quant à la ville où ils vivent, le pays, ou encore le rôle de la Compagnie dans tout ceci. Mais nous savons qu’un jour la ville bascula dans un monde post-apocalyptique, où la nature péri et où des animaux transformés par la biotech commencèrent à s’approprier le territoire de la ville et décimer les habitants. Un animal se démarqua parmi tout ces monstres sanguinaires : Mord, un ours titanesque. Dans ce cadre-là Rachel et Wick, sont confrontés à un quotidien de survie, entre récupération de matériaux dans les ruines et installation de pièges autour et dans l’immeuble où ils vivent etc… Mais ce quotidien va changer le jour où Rachel va trouver « Borne », un étrange organisme qui va s’avérer être doué d’une conscience, de parole et être capable de changer d’apparence suivant les envies et besoins.

Tout comme la trilogie Rempart Sud, Borne est un livre des frontières. Nous ne savons rien sur cette ville, mais la découvrons petit à petit, alors que ce qu’il y a en dehors de la ville, ça… Nous ne pouvons déterminer aucun pays, aucune époque, etc.. La mémoire est une autre frontière, étant poreuse, les souvenirs de Rachel ne peuvent pas nous donner plus de contextes, nous devinons des guerres, des migrations, mais sur des îles, ailleurs. Son arrivée ici est marqué par un complet manque de souvenir, avant elle fuyait, puis elle fut ici à marcher dans les rues. Cette volonté de trancher chez Jeff Vandermeer contribue grandement à plonger le lecteur dans l’étrange, à l’accepter rapidement et finalement de se laisser totalement submerger par l’univers de l’auteur. Dans Borne, nous ne savons rien, nous ne pouvons absolument pas nous fier à ce que nous connaissons grâce au réel, tout est brouillé.

Ce qui permet à l’auteur, tout en gardant un aspect très minimaliste, de construire une forme alternative de notre monde, un monde déjà mort, un monde qui nous échappe complètement et qui a donné l’émergence à de nouveaux organismes, rétrogradant l’humain du haut de l’échelle alimentaire à proie chassée par les nouveaux arrivants. Mais sans toutefois cesser de questionner sur ce qui fait de nous des humains. Rachel et Borne questionnent invariablement sur la maternité et sur l’éducation, Wick et Borne la rivalité, ou encore l’éveil de Borne étant un prétexte quant à la remise en question des sens des mots ou de certains rites humains.

Borne est le meilleur exemple de ce qu’est la Weird Fiction, mais au-delà du style, il s’agit avant tout d’ un très bon roman. Jeff Vandermeer est l’exemple même d’un bon écrivain qui sait mettre sa technique au service de l’histoire, se souciant autant de la cohérence de son histoire, que du rythme ou encore de l’écriture. Ce qui donne un tout vraiment réussi et superbement traduit par Gilles Goulet.

Borne est le premier volet d’une série lancé par Jeff Vandermeer. « Dead Astronaut » devrait rapidement suivre en France.

Le livre de poche,
Trad. Gilles Goulet,
472 pages,

Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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