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Opuscule de l'amour Shpëtim Selmani couverture

Shpëtim Selmani – Opuscule de l’amour

Scindé entre plusieurs principes aussi bien palpables qu’immatériels, un jeune trentenaire interroge les incongruités de notre société contemporaine et l’absurdité de l’existence en général. Son quotidien semble osciller entre plusieurs opposés aux frontières plus ou moins floues. En effet, il navigue entre deux villes, se heurte au deuil tout en fêtant la naissance proche de son premier enfant, balance entre un lâcher-prise décomplexé et la conscientisation des responsabilités à venir.

Cet homme c’est Shpëtim Selmani, qui déverse dans une langue vivante et sincère le tourbillon de pensées et d’émotions le traversant. Dans Opuscule de l’amour l’auteur embrasse sa vie d’un coup d’œil et de plume, rappelant ses souvenirs qui se répondent les uns aux autres. Certains des courts chapitres du roman, condensés d’intimité et de réflexions sur l’existence, s’ouvrent ainsi sur des noms évocateurs de ce pêle-mêle introspectif : Football, pets et étoiles, L’Amérique, la littérature et les bébés ou encore David Bowie et le Döner Kebab par exemple.

Nous sommes entrés dans une pâtisserie avons acheté un gâteau. L’idée que nous attendions un fils, après la mort de mon père, était enthousiasmante pour tous les membres de ma famille. Nos effrayantes mœurs accordant encore une place très importante aux garçons. J’avais quatre sœurs. Quatre tantes paternelles. Quatre tantes maternelles. Et une merveilleuse nièce qui raffolait des œufs Kinder. Par conséquent, il semblait que tous ressentaient le besoin d’accueillir un garçon. Notre Dieu et férocement patriarcal.

“Au diable tous les cafés consommés jusque-là, la viande ingurgitée, le sel qui a brûlé notre esthétique, le sucre qui a rendu nos jours plus doux. Au diable cet alcool qui nous a donné la force d’injurier les étoiles, et toute la drogue qui nous a fait croire que le monde n’était qu’une chambre isolée, et la pression psychologique a dévoilé au grand jour notre remarquable croyance en l’espoir ! Au diable le manque de sommeil qui a permis à l’esprit d’entrer sur le marché de l’absurdité comme étant une norme.”

Il ne mâche pas ses mots et les dépose sur le papier avec une poésie presque farfelue. Son propos est franc, il saisit pleinement les moments de joie et de doute qui le traversent, s’affranchit de toute timidité hypocrite ou d’orgueil déplacé.

Au cœur d’Opuscule de l’amour, les dualités semblent créer des carrefours ponctuant le court de l’existence. La mort récente du père de l’auteur et la naissance prochaine de son propre enfant bousculent ses acquis, décalent ses repères. L’aube côtoie alors le crépuscule, teintant de nuances inconnues des choses qu’il pensait établies. 

Il y exprime les non-dits, les craintes et les frayeurs de tous les jours face au temps qui avance immuablement, critique avec une drôlerie acerbe et sarcastique la société contemporaine. Celle-ci se heurte à l’intime, qui s’expose frontalement au travers de petits bonheurs saisis à la volée. 

Shpëtim Selmani capture la complexité des émotions et l’oscillation des consciences, tisse le délicat canevas des relations humaines (qu’elles soient amoureuses, familiales ou encore amicales). Les interrogations sur sa future parentalité font écho à son enfance marquée par la guerre, aux caprices de sa créativité, aux larmes qui coulent et au téléphone qui reste muet. Avec des mots sincères, des phrases tour à tour légères ou acides, romanesques ou triviales, il signe un livre sensible qui sonne juste.

“Puis, peu à peu, j’ai compris que je pleurais pour tout. Pour toutes les fautes humaines. Et pourtant, en silence, nous connaissions la leçon fondamentale. Avant même d’avoir ouvert les yeux, les hommes sortent et attendent de se montrer. Foutus soldats qui ont prêté serment.”

 

Traduit de l’albanais (Kosovo) par Fessa Molliqaj
Belleville éditions
119 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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