Gabriela Cabezon Camara est l’une des grandes voies de la littérature de notre siècle, du moins l’une des rares qui propose une littérature libératrice et qui convoque nos luttes actuelles en les magnifiant comme jamais. En France, il n’a fallu que deux romans traduits pour s’en rendre compte et maintenant ce recueil de deux histoires Tu as vu le visage de Dieu & Romance de la noire blonde pour en être persuadé. Pour se rendre compte de toute l’incroyable beauté de l’œuvre de l’autrice argentine, il faut également un traducteur tel que Guillaume Contré capable de nous restituer son écriture, ce chant puissant oscillant entre le lyrisme mythologique et les figures populaires. Ces deux histoires, que Gabriela Cabezon Camara a écrites il y a quelque temps, donnent un aperçu de sa capacité à transformer la réalité en puissante invocation utopiste.
Tu as vu le visage de Dieu & Romance de la noire blonde raconte l’histoire de deux formes de résistances et de résiliences. Dans la première histoire, l’écrivaine nous raconte l’histoire de l’une de ces jeunes femmes enlevées et asservies dans un réseau de traite des femmes. Gabriela Cabezon Camara décrit avec lucidité toute la cruauté dont l’héroïne est victime. Elle la transforme en combattante, sachant puiser dans la haine, assez d’énergie pour lutter. Puis Romance de la noire blonde est l’histoire d’une icône, punk et lesbienne habitant un squat d’artiste qui s’immole par le feu lorsque la police tente de les déloger. Elle deviendra ensuite un modèle international et les marques du feu sur son corps deviendront un objet de fascination artistique. Ces deux histoires interrogent la capacité des victimes à renverser les logiques de dominations par la magie de la littérature.
Car c’est sans doute toute l’essence même du travail de Gabriela Cabezon Camara que de proposer une autre issue au monde et aux luttes contre les dominations. L’écrivaine argentine se fait le chantre d’un monde capable de se renverser et de ne plus se laisser guider par une poignée de puissants, avides et meurtriers. Sa lucidité n’empêche en rien ses romans d’instiller chez les lecteurices une vague d’espoir, un soupçon d’utopie. Tandis que les crises ne cessent de saper nos espérances, nous étions loin de croire que la littérature était encore capable de nous redonner cet optimisme inattendu. Une autrice telle que Gabriela Cabezon Camara restitue toute la liberté que permet l’écriture en y rajoutant un style d’une rare puissance.
Tu as vu le visage de Dieu & Romance de la noire blonde ne doit être considéré que comme un présage, comme les prémisses d’une œuvre, et même d’un renversement des valeurs au sein du vieil art de la littérature. Gabriela Cabezon Camara ne part pas de rien pour tout reconstruire, mais elle le fait en conscience, pour renverser les statues des grands commandeurs des lettres. Il faut désormais les laisser derrière nous, tels des vestiges d’un vieux monde qui nous a condamné-e.s à la lutte. L’émergence d’une figure telle que cette écrivaine permet d’espérer d’autres générations capables de prendre en main l’écriture et de remettre le caractère révolutionnaire au cœur de la littérature. C’est ainsi que la lecture gardera du sens et ne sera plus considéré comme une activité élitiste et sectaire.
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Guillaume Contré
152p
Adrien