Premier roman graphique signé par Clara Lodewick, Merel déroule le récit sans fard d’une histoire de harcèlement et de sexisme en milieu rural. Dessinée d’une ligne claire et fluide, rehaussé par des couleurs fluctuantes au rythme des saisons, le livre est d’une incroyable justesse, résonne parfois douloureusement tout en interrogeant les relations entre les protagonistes d’un cercle proche et pourtant si friable.
Quarantenaire indépendante et libre, Merel partage son temps entre les concours de canards d’ornement, les verres avec ses ami·es du coin et l’écriture de chroniques dans le journal local du petit village des Flandres où elle habite. Elle savoure l’espace laissé par une liaison en pointillé, profite de la nature environnante et va régulièrement rendre visite à sa mère à l’EPAD non loin. Dans sa maisonnette en lisière de forêt, elle mène une vit paisible sans artifices inutiles, entourée de ses canards adorés et de la tranquillité de la campagne.
Mais si Merel est bien connue de toutes et tous, elle n’est pas pour autant à l’abri des mauvaises langues. Une réflexion un peu grivoise qu’elle lance lors d’une soirée devient le point de bascule d’une marée noire qui va lui pourrir la vie. En effet, cette blague de trop mal est interprétée par Suzie, une femme à vif qui voit son couple voler en éclat, et qui va faire de Merel le bouc émissaire de tous ses malheurs et de sa colère.
En quelques jours, les ragots vont bon train et les rumeurs enflent. Une femme d’une quarantaine d’années, pas casée et qui aime boire des coups avec les maris des autres, c’est louche, ça fait jaser… C’est sûr, cette Merel n’est pas l’amie sympathique et sans arrière-pensée que les habitant·es du coin imaginent connaître depuis toujours : elle couche forcément avec tous les hommes qui lui tombe sous la main, elle pique les époux et casse les ménages…
Ces racontars entre adultes parviennent jusqu’aux oreilles des enfants, qui eux aussi deviennent acteurs d’une vague de harcèlement qui prend une ampleur considérable. Si les parents se comportent de manière pernicieuse envers la victime de leurs médisances, les plus jeunes poussent jusqu’à s’introduire dans sa propriété, vandalisant ainsi son intimité. Merel voit tout·es celles et ceux qu’elle fréquente détourner le regard et chuchoter sur son passage, lui tourner le dos et lui balancer des sous-entendus qui tordent et mordent. Et lorsqu’elle rentre chez elle, c’est la boule au ventre et l’incompréhension au cœur.
Seul le fils de Suzie, Finn, décide de se détacher de cette vendetta délétère et quitte la bande de jeunes vandales. Rongé par le remords et fuyant les disputes de ses parents, il préfère profiter de ses journées à nourrir les canards ou encore repeindre le portail de Merel pour rattraper ses bêtises et oublier la tension de son foyer.
Clara Lodewick illustre la force et la liberté d’une femme indépendante par des scènes banales de tous les jours, tout en parvenant à en saisir et en extraire les bonheurs simples. De plus, Merel est aux antipodes des clichés hypersexualisés que l’on assigne aux femmes : elle porte des vêtements confortables, est bien dans sa peau et se fiche pas mal des normes esthétiques, sans pour autant juger ses amies plus élégantes.
Malgré tout, son mode de vie dénote avec le fameux schéma familial classique et les bons vieux codes patriarcaux. En effet, son statut de femme quarantenaire et célibataire en fait la suspecte idéale, bien plus que pourrait l’être un homme dans une situation similaire. Mais pour autant, l’autrice ne dépeint jamais son héroïne comme étant dans une position d’isolement la rendant vulnérable, car même lorsque les calomnies l’assaillent et que les actes prennent le pas sur les mots, Merel fait preuve de franchise et d’intelligence en refusant de céder à la crainte ou à la rancœur.
C’est d’ailleurs l’une des particularités de ce récit qui, bien que très dur à certain moment, se trouve éclairé par une grande bienveillance. Clara Lodewick ne tombe pas dans les clichés, brosse des personnages crédibles avec leurs failles et leurs forces et nous laisse sur la douceur d’une note optimiste.
Les teintes froides de l’hiver laissent place au renouveau du printemps, les mensonges s’éteignent sous les pardons, tandis que la justesse et la délicatesse contenues entre les pages de cette BD prouvent incontestablement le talent de son autrice.
Dupuis, collection Les Ondes Marcinelle
160 pages
Caroline