La littérature s’ébroue, les conceptions binaires s’effritent et les causes LGBTQIA+ sont entendues. En hommage à ces joyeux chamboulements, voici une biographie coup de cœur et un recueil coup de gueule, deux livres à placer entre toutes les mains pour instruire et déconstruire.
Aujourd’hui encore, lorsque l’on évoque Queen ou que l’on vibre au son de ses accords légendaires, on pense immédiatement à Freddie Mercury, sa moustache et son cuir jaune soleil. De son vrai nom Farrokh Bulsara, le cofondateur et chanteur du mythique groupe de rock a marqué de façon indélébile aussi bien les esprits que les tendances de son époque. Cultivant l’image d’un personnage exubérant et libéré, il s’est pourtant toujours soigneusement tenu à l’écart des médias et de la presse à scandale, bien conscient des foudres que son train de vie pouvait attiser.
Grand fan de Queen et de son leader, Alfonso Casas signe la biographie touchante et pudique de cette icône tout en clair obscure. Richement agrémenté d’illustrations hautes en couleur rendant hommage aux habits excentriques de l’artiste, mais aussi à l’ambiance de cette époque, cet album jeunesse s’adresse à toutes les tranches d’âges et tous les degrés de passion.
Freddie Mercury, une biographie est un véritable bon dans le temps, les pages vibrent et résonnent de l’effervescence d’alors, des premières mesures et vocalises des membres du groupe. On y découvre les moments charnières qui ont ponctué l’évolution de Queen, les désaccords, les éclairs de génie, l’éloignement et les retrouvailles.
L’auteur capture la dualité de Freddie Mercury qui cachait une personnalité sensible, timide et complexée derrière les frasques et les excès. Bien que très complète et englobant toute l’existence de l’artiste, cette autobiographie ne comporte ni indiscrétion ni médisance, mais est au contraire marquée d’un profond respect. Tout en préservant et considérant la vie privée et l’intimité du chanteur, Alfonso Casas nous entraîne dans les circonvolutions symphoniques de ce destin hors du commun, celui de cette star du rock qui a bousculé bien des codes et s’est libéré des normes vestimentaires, musicales ou sexuelles.
En effet, s’il a dû essuyé des remarques discriminantes ou encore homophobes, notamment lorsqu’il a annoncé qu’il était atteint du VIH, il s’est servi de son rayonnement pour faire entendre la voix de ceux mis à l’écart et trop rapidement jugés. Jusqu’au bout, il a puisé dans ses forces et fait preuve de travail acharné, de soucis du détail et d’amour pour la performance. Mais c’est aussi sa sensibilité à fleur de peau qui transparait entre toutes les pages de cet hommage vibrant.
Rythmé par les mélodies entêtantes et la virtuosité de Queen et éclairé par l’aura inégalable de Freddie Mercury, cet album livre un portrait touchant et sans faux pas.
Alfonso Casas
Traduit de l’espagnol par Marie Debilliers
144 pages
Paquet
Alors qu’elle vient tout juste de visionner Tomboy, film qui a fait couler tant d’encre et de salive, la photographe Géraldine Jacques s’empare d’un crayon pour dessiner une barbe sur son visage et poser face à son objectif, les bras croisés et l’air défiant. Dehors et depuis quelques semaines, le livre jeunesse Tous à poil ! se trouve à son tour au centre d’une polémique acide et absurde. L’artiste belge décide de se tirer de nouveau le portrait, nue cette fois-ci, à l’image des personnages de l’album ciblé.
C’est alors que le premier diptyque de sa série intitulée Rhizome voit le jour, en réponse aux vagues de haine, où des messieurs-dames bien pensant.es et autres acteurs et actrices de la manif pour tous crient au scandale, exigeant la censure d’œuvres jugées dangereuses.
Lors de ce projet, une soixantaine d’hommes et de femmes se prêtent au jeu et posent travesti·es puis nu·es, sous l’objectif à la fois révolté et bienveillant de Géraldine Jacques. En tout, elle réalise plus de 110 portraits en noir et blanc rassemblés dans Rhizome. Iels nous fixent et semblent soutenir notre regard, les bras croisés sur la poitrine et un léger sourire. Sur la première photo de chaque double page, iels portent des accessoires caractéristiques assignés aux genres : barbe dessinée ou rouge à lèvres, selon si le travestissement se veut féminin ou masculin. Sur la seconde, plus rien ne les couvre ou ne les grime. En dessous des tirages, une simple phrase commençant par « J’ai lu » « J’ai regardé », « J’ai écouté » ou encore « J’ai contemplé », suivi de l’intitulé d’une œuvre qui pourrait être pointée d’un doigt accusateur et frôler la censure au même titre que Tomboy ou Tous à poils. Troisième sexe, Vénus Erotica, Madame rêve… Il y a tant de chansons, films, livres, peintures ou sculptures dans notre patrimoine qui abordent la nudité ou la sexualité, la liberté d’exprimer ses désirs et d’être ce que l’on veut être, sans entrave, sans risquer d’être hué ou attaqué.
C’est ici tout le message révolté, le coup de gueule lancé par la photographe. Celui qui dénonce toute l’hypocrisie ridicule des esprits fermés se scandalisant à la vue d’un livre pour enfant où sont illustrés de simples personnages nus, mais s’extasient devant des corps tout aussi dévêtus étalés sur le plafond d’une église.
Ce qui était au début une photo pour rire (jaune) est devenu un projet embrassant tous les âges, les physiques ou les couleurs de peau. Géraldine Jacques signe un véritable hommage aux œuvres qui ont été censurées, mais alerte également à veiller sur celles qui pourraient en être menacées. Avec humour, elle interroge cette crainte de la perversion, propos d’un autre temps revenant si souvent dans les débats, le rapport au corps et à la nudité, la perception que nous avons d’une création vis-à-vis de sa voisine.
À travers de ces portraits, elle confronte les deux faces d’une même pièce, bouscule notre société oppressive et sème une énergie prolifique. Les schémas normatifs y sont déconstruits, de nouveaux rhizomes s’y déploient et résistent tout en nourrissant les libertés individuelles, le droit d’être qui l’on veut et de jouir des Arts qui nous parlent.
Géraldine Jacques
Éditions Intervalles
128 pages
Caroline