Certaines personnes s’exclament souvent à tort et à travers que telle chose est poétique : un paysage, un coucher de soleil, la courbure d’un corps. Mais on trouvera peu souvent poétique un manuel technique ou une mécanique. La poésie ne se trouve pas seulement là où on veut bien la voir. Principalement, elle est le résultat d’une pratique. C’est justement tout ce qui ressort du travail qu’effectue Frédéric Forte et David Enon dans le bien nommé De la pratique.
Ce livre est un cut-up prélevé dans Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre de Nicola Sabbattini paru en 1638. Il est élaboré selon un procédé tout à fait oulipien dont Frédéric Forte a le secret. On peut mieux le comprendre dans la note qui clôt le livre. Mais, pour l’apprécier, il faut mettre son aspect technique de côté et lire cette écriture particulière sans recul. C’est tout l’aspect paradoxal qui ressort de cette poésie, apprécier la pratique ou la poésie elle-même.
Frédéric Forte fait d’un manuel technique du XVIIe siècle un ouvrage de poésie très hétéroclite. On y trouve souvent des vers d’une apparente profondeur sur la question de l’existence. Mais il y a aussi des poèmes possédant une sonorité particulière, que l’on peut rattacher à ce qui s’écrit actuellement. L’art du cut-up n’est pas nouveau mais De la pratique en propose une forme esthétique qui vient questionner la poésie elle-même.
Frédéric Forte démontre que la poésie ne peut se trouver qu’avec une pratique, en écrivant ou en réalisant ce genre de travail de montage. La poésie est un exercice comme n’importe quelle discipline. Mais De la pratique pourrait aussi se comprendre d’une autre manière. On pourrait penser que Frédéric Forte puise la poésie dans le traité de Nicola Sabbattini, que ce livre-là possède intrinsèquement un caractère poétique.
Mais c’est le geste de Frédéric Forte et également celui du dessinateur David Enon qui produit de la poésie. Si pour mieux l’apprécier, il faut oublier comment elle a été conçue, il ne faut pas en retirer son caractère technique. La poésie s’exerce comme le dessin, la photographie ou n’importe quelle pratique dont on n’oublie pas de saluer la technicité.
Illustré par David Enon
92p
Adrien
Image du bandeau : Tirée de Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre de Nicola Sabbattini