Il a ça dans le sang et sa monographie est à la hauteur de son obsession : avec Vampirologie, Adrien Party propose la bible vampirique la plus complète qu’on puisse rêver, qu’on soit fan absolu de la figure du vampire ou néophyte avide de découvrir son traitement à travers la pop culture. Rencontre avec un passionné et son passionnant traité autour d’une légende polymorphe, objet de désir et de peur, dont les représentations se transforment en même temps que la société dont elle est le pouls.
“A chaque époque trouble de notre société apparaissent les vampires”. Et c’est avec le plus dangereux d’entre eux qu’a lieu la première rencontre d’Adrien Party : Vladimir Kergan, dit Le Prince de la Nuit, que traquent les membres d’une famille de génération en génération et à travers les temps.
Avec la production d’Yves Swolfs, le coup de cœur est tant graphique que thématique : il impulse l’obsession de l’auteur pour la manière dont la figure du vampire cristallise les angoisses, les tabous et les doutes de notre société. “J’ai ensuite maintenu un intérêt constant pour le sujet et pas mal fantasmé l’idée d’une bible vampirique à partir du moment où j’ai été équipé d’un ordinateur”, confesse Adrien Party. Diplômé d’études en programmation informatique, l’auteur est capable de réaliser seul un site internet : il se lance et achète le nom de domaine Vampirisme.com, qu’il rêve sous forme de carnet de voyage. Mais pour ça, il faut déjà voyager.
Bram Stoker n’a jamais les pieds en Transylvanie pour créer la légende de Dracula : Adrien Party veut lui saisir l’ambiance de cette contrée roumaine telle que peut la vivre Jonathan Harker lorsqu’il arrive dans les Carpates à bord de son lugubre carrosse, étreint déjà d’un mauvais pressentiment. Car l’invention d’écrivain repose tout de même sur un fascinant réel, et l’idée de faire le tour des châteaux et forteresses gothiques enveloppés de mystère et de visiter la tombe de Vlad Tepes (en tout cas l’endroit suspecté de l’être) propulse Adrien dans un périple rocambolesque, point de départ de ses récits de voyage et de sa chronique de Dracula depuis réécrite et mise à jour.
Maintenant que les bases sont posées, Adrien ne va pas en rester là : les chroniques littéraires complètent rapidement les récits de voyage, suivies des avis ciné puis, quelques années plus tard, avec l’arrivée de rédacteurs, de nombreuses critiques qui viennent peu à peu transformer Vampirisme.com en la bible qu’on connaît.
Adrien Party interviewe au passage une centaine de personnes, l’occasion de se confronter à des approches qui lui donnent “matière à prendre progressivement du recul sur le sujet, et à souligner l’intemporalité du vampire en tant que figure de la pop culture”, prémisses de la construction de Vampirologie et de la dynamique à venir de l’ouvrage.
“Il me fallait donc partir des œuvres, mais ne pas me limiter à la littérature et au cinéma, trop souvent les deux seules formes culturelles auxquelles on daigne s’intéresser, l’objectif étant alors de montrer la résonance des créations artistiques avec le réel et avec le média qu’elles représentent. J’avais besoin de faire une sélection de supports et de genres qui se sont emparés du vampire et qu’il m’amusait d’explorer en profondeur. Par ailleurs, je ne voulais pas juste imposer ma façon de voir les choses. Pour moi, il est toujours plus intéressant d’écouter un auteur, de se pencher sur sa biographie et de recueillir son point de vue, plutôt que de tenter de déconstruire sa production.” (Page 12)
Le vampirophile convoque donc “d’autres rédacteurs à participer au projet, qu’ils ou elles soient magiciens, journalistes, rôlistes, autrices” et ensemble, ils s’attèlent à “montrer le métissage entre les œuvres et souligner le statut de miroir du réel que possède le vampire.” Leur objectif : obtenir un objet permettant une lecture du réel au travers de ce personnage imaginaire qui nourrit une production abyssale, bien plus riche symboliquement que celle consacrée, par exemple, à la figure du zombie. Au vu de la richesse du sujet, leur guide de lecture est aussi guide de visionnage à travers les univers transverses dans lesquels existe, dans une logique mix-media, la figure vampirique.
“Le résultat, vous l’avez entre les mains. La bande dessinée, la sphère ludique, la télévision, la musique, le cinéma, la littérature, voici quelques exemples des univers que ce projet vous propose d’arpenter par l’entremise du vampire. Et pour ne pas commencer n’importe comment, les premiers chapitres vous donneront à la fois une vision d’ensemble et des clés pour comprendre l’émergence de cette figure de fiction. Ce livre n’a enfin pas la vocation de se poser comme un travail universitaire : il s’agit d’un travail de passionnés, fondé sur des années d’exploration des différentes incarnations du vampire. Pour moi, il est question de mettre en lumière les mutations des buveurs de sang, de montrer qu’ils sont en osmose avec leur temps, incarnations idéales de nos conflits intérieurs et sociétaux. Et de prouver que les multiples facettes du vampire nous offrent à tous, quelles que soient nos prédilections, matière à frémir.” (Page 13)
Et matière à frémir, il y a. D’autant que “le vampire ne vit pas uniquement de sang, il vit de sens”, comme le conclut le scénariste et écrivain fantastique Alain Pozzuoli, “avant de refermer le couvercle”, en postface de Vampirologie.
“Le vampire est notre propre énigme. Notre force et notre faiblesse. Notre drame et notre force de rédemption. S’il survit grâce à nous, via nos flux sanguins ; nous, nous prolongeons notre existence par l’idée même de la sienne. Paradoxe des paradoxes, il est à la fois ce que nous sommes et ce que nous ne pourrons jamais être. Tout et son contraire. D’où notre désespérance de simples mortels. En somme, c’est à nous de porter sa croix, car nos destins sont liés, qu’on le veuille ou non, qu’on l’admette ou pas. Destin cornélien que le nôtre.” (Page 729)
Vampirologie est une monographie érudite et passionnante, qu’on ne manquera pas de garder sous le coude pour y piocher, à la manière d’une encyclopédie, la référence qui nous manque lorsqu’un vampire viendra nous faire un clin d’œil. Et quand on sait à quel point la fascination pour l’immortel suceur de sang reste ancrée, on est persuadés que Vampirologie va devenir notre livre de chevet. Soigneusement posé à côté d’un petit pieu de bois, quand même.
Editions ActuSF
736 pages
Faustine