Qu’elle est la signification du réel, et comment en extraire de son corps immatériel l’idée d’une construction mentale nous propulsant vers une cartographie renouvelée ? Les littératures de l’imaginaire n’ont de cesse depuis leurs inventions respectives de questionner ce dernier. Souvent partant de son postulat pour, par un habile jeu de réflexion ou d’aversion, faire basculer le lecteur dans un registre souvent à l’opposé évoluant dès lors dans des limbes de l’inventivité où la limite ne se situe plus dans une réalité physique, mais se pulvérise totalement en se confrontant à l’immensité des possibles.
Nous pourrions par extrapolation supplanter notre réalité « objective », du moins notre prisme de réalité en l’opposant à la réalité du monde quantiques, tout comme celui de l’immensité de l’univers. Finalement, le réel devient multiple dans un même espace, un tout qui serait empirique permettant ainsi de laisser cohabiter des réels ensembles.
Cette réalité multiple nous en faisons plus ou moins l’expérience dans notre quotidien, et l’éprouvons en le confrontant à d’autres individus. C’est en cela que notre société se fait souvent de combats passionnés, mais aussi de déni bien ancré développant une réalité « alternative » bien souvent désarmante.
C’est ainsi que nous pourrions aborder le roman d’Alexandra Kleeman, le très malicieusement nommé « Du nouveau sous le soleil ».
En suivant l’écrivain Patrick Hamlin, qui vient à quitter la côte Est des Etats-Unis pour suivre le développement du film qui adapte son roman, nous basculons dans une forme de réalité alternative. Une côte Ouest qui perd ses repères et le rôle de chacun. C’est ainsi que Patrick de consultant sur le film, se retrouve chauffeur pour l’actrice principale, Cassidy Carter, et le film semble prendre une tournure bien éloignée de ce qu’il a pu écrire. Dans un Hollywood où certaines personnes ne sont plus nommées que par une fonction, et où l’eau potable est devenue en denrée précieuse et extrêmement cher, Patrick découvre un nouveau monde, celui où l’eau est remplacée par une marque, Wat-R, semblant avoir des effets secondaires étranges sur les consommateurs, ainsi qu’un environnement qui est voué à disparaître dans un incendie perpétuel aux abords de la ville.
Comme un point de vu différent, en parallèle, sur la côte est, nous pouvons découvrir la femme de Patrick et leur fille, Nora, qui décide de profiter de l’absence de l’écrivain pour partir en retraite spirituel et matériel, dans un mystérieux camp, où chaque matin des adieux sont présentés aux plantes et animaux disparu de la Terre à cause de l’homme.
Bien que semblant prendre ses marques dans une forme de récit d’anticipation, et nous pouvons constater que le roman d’Alexandra Kleeman coche un certain nombre de cases, il s’agit ici d’une forme plus minimaliste, évoluant dans une zone grise, où là aussi le genre devient multiple. Car « Du nouveau sous le soleil » est un roman en mutation, une narration qui évolue et s’adapte à l’histoire pour brouiller les pistes. Ainsi, le roman se fait tour à tour récit social, roman post modern, récit d’anticipation, histoire d’enquête ou encore quête spirituelle. De cette multiplicité de styles, nous ne pouvons que nous confronter à ces réalités réalités qui s’adaptent et s’affinent suivant les nécessités d’un contexte.
Alexandra Kleeman impressionne également, au delà de l’histoire passionnante, par son écriture. D’une grande maîtrise et d’une finesse d’analyse rarement lu, la comparaison avec Don Delillo s’impose tant nous pouvons ressentir cette même virtuosité et cette même aisance à décortiquer la psyché humaine.
« Du nouveau sous le soleil » est un roman captivant, qui en osant pousser les potards un cran au-dessus de notre présent, déploie un univers qui n’a rien à envier à des auteurs comme Bret Easton Ellis, Chuck Palhaniuk ou comme dit plus tôt Delillo. Une certaine idée du roman satirique social et politique recadré à l’échelle de l’individu. Un individu confronté à un monde de loi, de non-dit, et d’entreprises plus que puissante et en capacité de dicter la marche du monde.
Rue de l’échiquier,
Trad. Christian Garcin,
432 pages,
Ted.