En 1970, le 4 février, dans la mine de Fouquières-lès-Lens survient une explosion tuant seize travailleurs. Elle n’est pas la plus meurtrière de l’histoire des mineurs, rien de comparable avec les 1099 morts de Courrières soixante-quatre ans avant, ou celle de Liévin avec ses 41 morts quatre après le drame de la fosse numéro six du chantier Albert quatre cent soixante deux, à plus de 600 mètres de profondeur de Fouquière-lès-Lens.
Mais le drame du 4 février 1970 va déclencher un second événement, s’incarnant dans l’action de jeunes militants maoïstes, qui vont lancer des coktails molotov sur les bureaux de la direction à Hénin-Liétard. Ce drame et l’arrêt des militants, comme un concours de circonstances cristallisant une période précise, va faire naître une mobilisation inédite des syndicats, de la gauche prolétarienne, des militants maoïstes, d’artistes, d’intellectuels et d’étudiants. Un événement qui va bousculer les manières de s’inscrire dans la lutte sociale et de faire entendre les voix de celles et ceux qui n’ont jamais droit aux considérations politiques et médiatiques.
Philippe Artière est historien du contemporain. Directeur de recherche au CNRS, membre de l’institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux de l’EHESS à Paris-Condorcet. S’inscrivant dans une démarche d’exhumation de la mémoire de celles et ceux qui n’avait que trop rarement voix au chapitre. Ainsi, comme il le déclare en guise d’introduction à la Mine en procès :
« Les historien.nes entretenons avec les morts un étrange commerce ; souvent, ces dernières décennies, on a beaucoup, et non sans bonnes raisons, d’une part exhumée des vies singulières, des existences à la marge, et d’autre part travaillé sur des communautés discriminées, stigmatisées et objets de violence de masse. A été laissée de côté, avec l’abandon de la perspective marxiste, une histoire sociale qui a pourtant constitué le socle de cette nouvelle histoire. »
Avec La Mine en procès, ce livre propose une plongée dans un monde disparu. Celui des mines, des mineurs, du charbon, de la vie des mineurs (famille et travail). Tout un pan social et économique qui fut central pour notre pays et pour toute une grande communauté de travailleur, et qui aujourd’hui n’est plus qu’un vestige souvent minimisé pour avant tout saluer le progrès et le bon en avant en matière d’énergie que fit le pays.
Son livre s’articule autour de quatre actes. Tout d’abord la catastrophe minière, nous donnant à voir chaque instant de l’incident jusqu’aux funérailles, et les rapports officiels d’experts pour savoir ce qui s’est passé et qui fut le/les coupable.s. Rapports qui firent réagir les étudiants de l’école des mines de Paris, futurs ingénieurs, et qui face à des conclusions disculpant le patronat de la mine, se mobilisa pour soutenir les mineurs et remettre en cause leurs implications en tant que futur ingénieur des mines, tout en dénonçant un dysfonctionnement dans le déroulé de l’incident, impliquant la responsabilité de la direction. Ce qui va amener à la tenue d’un tribunal populaire à Lens. Un tribunal ayant pour avocat général un certain Jean-Paul Sartre, et que Philippe Artière nous permet de lire dans sa retranscription intégrale des minutes du procès. Enfin en quatrième acte, Eric Chassey, contributeur sur ce livre, revient sur l’exposition de peinture qui fut organisée au profit des familles des victimes, en proposant une analyse de l’événement et des œuvres. Le tout étant richement augmenté avec de nombreux documents d’époques, articles de presses, photos, affiches,…
Afin de compléter au mieux ce livre et des proposer un tour d’horizon complet de l’événement et de ses enjeux, il faut souligner l’excellent entretien de l’auteur avec Bernard Leroy, alors étudiant à l’école des mines de Paris, lors de l’accident, et qui pris part entière au mouvement. Ainsi que l’excellente postface de Michelle Zancaini-Fournel faisant entrer en écho luttes sociales d’hier et d’aujourd’hui.
La mine en procès de Philippe Artières en « exhumant » cette histoire tombée dans l’oubli, propose une analyse fine, mettant l’accent sur l’aspect humain, et la lutte sociale qui s’organisa autour de ses mineurs morts tragiquement. Car au-delà de l’accident, son livre nous permet de voir la mécanique sociale et contestataire s’inscrivant dans un militantisme ouvrier qui cherche avant tout à être considéré et vivres décemment. Un événement qui fut le carrefour des luttes et des contestations, et qui en son temps, tenta de faire bouger les lignes pour offrir plus de reconnaisses et de sécurités pour les mineurs et leurs familles.
La Mine en procès, est un indispensable pour les curieux, mais aussi pour prendre le pou de notre société aujourd’hui en tenant compte des chemins et des luttes réalisés en amont, alors même que nos contestations actuelles sont de plus en plus bâillonnées, diabolisées et méprisées. Un indispensable.
Anamosa éditions,
256 pages,
Ted.