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Aaron Tucker – Oppenheimer

Alors que nous rentrions de plein fouet dans la crise du COVID-19, et que nous rencontrions notre premier confinement, sortait chez La Peuplade « Oppenheimer » d’Aaron Tucker. Un concours de circonstance qui ne permit pas à ce livre de rencontrer son public. Malgré une sortie repoussée, pour lui laisser plus de chance, et l’enthousiasme de quelques libraires, « Oppenheimer » joua de malchance. Il y a quelque temps, Julien Delorme, le directeur commercial en Europe pour La Peuplade, revenait et se confiait sur ce rendez-vous manqué, sur sa page Instagram, et à quel point ce titre aurait mérité des meilleurs circonstances pour se faire connaître.

Invariablement, cela pose question sur la durée de vie d’un livre en rayon, dans les médias ou encore au travers de l’engouement que peuvent générer quelques influenceurs/ses. Alors que le marché est régulièrement inondé de sorties, noyant dans une masse informe des titres qui auraient mérité d’être connus, qui auraient dû se voir de partout, et qui surtout offrent au travers de leurs pages des mots que nulle autre n’aurait su porter aussi intelligemment ou finement, la durée de vie d’un titre en rayon est problématique. Et qu’on se le dise, « Oppenheimer » d’Aaron Tucker est un de ses livres.

Julius Robert Oppenheimer, était un physicien américain, qui fut un des premiers chercheurs à théoriser les étoiles à neutrons ainsi que l’effondrement gravitationnel conduisant à la formation d’un trou noir dès 1939 avec Fritz Zwicky et Hartland Snyder. Ils s’appuyaient sur les travaux d’Einstein et la relativité générale, ainsi que sur les théories de la mécanique quantique. Travaux qui furent mis entre parenthèses durant la Seconde Guerre mondiale, mais reviendront sur le devant de la scène durant les années 50 et 60.

Durant la guerre, Oppenheimer fut débauché par le gouvernement américain pour travailler sur le projet Manhattan et la création de Gadget, la première bombe atomique, celle qui changea la face de l’humanité à tout jamais et fit basculer notre civilisation dans l’ère atomique.

C’est de cette période qu’Aaron Tucker part pour développer son roman. Qui était J. Robert Oppenheimer, quel était sa personnalité, son intériorité psychique et philosophique, et surtout comment se perçoit-on alors que nous sommes sur le point de créer l’arme la plus destructrice que l’humanité n’est jamais connue.

Ainsi, l’auteur s’aventure dans les réflexions et dans la psyché de cette personnalité. Partant de point bien réel, il se permet dans de longs monologues intérieurs, de nous plonger dans une personnalité fascinante par son rapport au réel, au temps et au monde. Ne tombant jamais dans un manichéisme facile, Aaron Tucker s’intéresse à la zone grise, en la lumière et les ténèbres, loin du héros ou du salaud, mais propose avant tout un portrait humain. Un personnage qui fait ce qu’il doit faire, du mieux qu’il le peut, qui s’adapte, au gré des circonstances.

Ce qui donne de longs passages contemplatifs fascinants. D’une richesse introspective passionnante et donnant à voir la complexité humaine en marche. Vous n’allez pas aimer J. Robert Oppenheimer, vous n’allez pas le détester non plus. Vous allez le comprendre, vous allez le trouver limite par moment, agaçant, ou passionnant à d’autres, et c’est là où l’auteur a su brillamment s’approprier la figure du personnage historique pour en faire un personnage littéraire. En évitant toutes les facilités et les raccourcis, Aaron Tucker donne corps, profondeur et vie à son personnage pour en faire une figure littéraire et dramatique puissante.

Dans la construction du roman, il y a une particularité, chaque chapitre saute d’une période à une autre, proposant un récit non-linéaire. Ce rapport au temps, cet égarement entre les périodes donne une sensation d’irréalité, et accentue le sentiment de solitude que vit Oppenheimer. Cette construction ajoute en profondeur, et nous oblige à nous focaliser d’autant plus sur la psyché du personnage plutôt qu’au réel des situations, développant ainsi un univers d’une richesse sublime et poétique.

« Oppenheimer » n’eut pas de chance lors de sa publication. Mais le roman d’Aaron Tucker doit rencontrer sa chance. Ce roman est virtuose et intelligent, dans sa construction, dans ses digressions et dans son récit. C’est un livre passionnant qui doit rencontrer son public, alors espérons qu’avec la sortie prochaine du film de Christopher Nolan (qui n’est pas une adaptation du roman), la curiosité des lecteurs sera au rendez-vous.

Éditions La Peuplade,
Trad. Rachel Martinez,
Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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