Parfois, on croise le chemin heureux d’un livre dont chaque phrase nous touche. Conscient du bout de merveilleux que l’on tient entre les mains, on en savoure alors chaque mot tout en cornant certaines pages, afin de s’y replonger à nouveau pour y retrouver ces fragments de soleil.
Le Roitelet de Jean-François Beauchemin est l’un d’eux, par la façon dont il cristallise la beauté du monde et les paysages de l’âme humaine.
“Peu à peu les jours passent. Pablo, dont nous avons sobrement souligné hier le sixième anniversaire, continue de corriger comme il le peut la trajectoire de sa vie, de donner à son histoire animale une courbure de fleur. ”
Un écrivain explore l’orée de sa vieillesse, tout en profitant de la foule de bonheurs simples jalonnant son existence. Auprès de sa femme Livia, du chat Lennon et du chien Pablo, il s’occupe de son jardin, converse avec les fantômes des êtres chéris et s’adonne à de longues promenades dans la campagne environnante lorsqu’il n’écrit pas au creux secret d’un carnet.
Une autre figure centrale gravite au cœur de son existence : son frère ainé, à l’esprit fissuré de lumière et de ténèbres. Schizophrène, il évolue dans une réalité en clair-obscure dans laquelle une situation anodine peut s’avérer menaçante, mais dont il perçoit parfois avec une clarté aiguë les reliefs paisibles. Un profond lien fraternel unit les deux hommes, qui expriment avec une réserve touchante l’amour qui les relie, au détour d’une phrase ou par la prévenance d’un geste.
Hier soir, tandis qu’il marchait à mes côtés dans la campagne, mon frère, comme devinant ma pensée, m’a dit ces choses troublantes: «On dirait que Dieu, après avoir visité ma vie, en est reparti en éteignant la lumière.
C’est en vain que je l’appelle et le prie d’y rétablir l’éclairage. » Puis, montrant du doigt les champs environnants:
«Regarde un peu ces lucioles. Elles clignotent dans la nuit pour se reconnaître entre elles. Mais moi, je ne suis la lampe de personne.»
Jean-François Beauchemin aborde ainsi avec une sensibilité égale les différentes facettes de la vie d’un homme et de son rapport au monde. Le narrateur couche quotidiennement sur papier les réflexions intimes ou partagées, les instants d’harmonie pures qui le traversent. En épinglant les bribes d’une conversation éclairée avec un voisin ou encore les bouffées nostalgiques, solaires, qui le transportent lorsqu’il se remémore sa jeunesse et ses parents, il crée un herbier vibrant et lumineux.
Sillonné de passages explorant pudiquement les fragilités et les merveilles de la pensée humaine, Le Roitelet chante autant la beauté de la nature que l’amour du vivant. L’auteur, qui semble posséder quelques franches similitudes avec son protagoniste, y fait ressurgir l’éclat rassurant et si précieux de l’enfance, raconte avec une tendresse lucide et touchante la mélancolie du temps passé et la promesse tranquille des jours vieillissants.
Un roman qui frappe en plein cœur, porté par une plume authentique, émouvante, qui célèbre les moments simples et beaux, les êtres aimés dans toute leur entièreté sensible et vacillante.
«La vie passe, m’a dit ce matin mon frère une fois achevée sa lecture de mon manuscrit. La vie passe, banale, insignifiante, et pèse pourtant à ce point sur la pensée, le caractère et l’âme qu’elle finit par leur donner une raison d’être. Oui, presque rien n’arrive dans cette histoire, mais tout y a un sens.»
Quebec Amérique
Collection d’Amérique
144 pages
Caroline