Voyages intérieurs

Qui sommes nous, nous autres individus, petits êtres sensibles parfois engloutis sous des vagues d’émotions ? Introspection et vulgarisation sont au programme pour tenter de démêler tout cela, avec le roman graphique et autobiographique Sur le bout des doigts et Émotive, une BD de développement personnel bienveillante et bourrée d’humour.

Le modelage autobiographique est un travail bien délicat, entre la peur de trop se dévoiler et l’envie de se présenter sous son meilleur jour, quitte à embellir parfois les choses. Le jeune artiste Colin Atthar réussit ce tour de force avec Sur le bout des doigts, où il se raconte par strates évolutives et surtout introspectives. Épaulé et encouragé par une mascotte imaginaire aux allures de chat élégant et plutôt directif, il observe et analyse avec beaucoup de second degré les facettes qui le composent. De son aspect physique rehaussé d’une véritable passion pour les déguisements et les vêtements exubérants, à sa nature tout aussi créative que pudique, il se décrypte lui-même mais également le monde qui l’entoure. Égrenant des bouts de son enfance et de son adolescence, évoquant son passage douloureux dans une école d’Arts, Colin Atthar parvient à embrasser une foule de sujets complexes, qu’ils soient universels ou plus personnels.

Dans les différents chapitres abordant chacun une thématique, il procède au déchiffrage du lien qu’il entretient avec lui-même et avec les autres, incité par sa muse-chat un brin tyrannique. Ce dernier agit parfois comme une image projetée de lui-même, le poussant à se confier tout en déclenchant alors un face à face de l’auteur avec ses traumas.
Colin analyse d’ailleurs son réflexe quasi spontané de tourner en dérision les actes de brutalité ou de discriminations qu’il subit. Conscient de cette tendance à banaliser les violences verbales et physiques qu’il rencontre, il met en lumière une normalisation de la haine et des micro-agressions qui affecte notre quotidien à plus ou moins grande échelle.

Sans prétention ni blabla inutile, Sur le bout des doigts traite ainsi avec justesse aussi bien du rapport à soi que de l’ouverture au monde. L’auteur explore son apparente légèreté qui cache des fissures intimes, décortiquant le développement de sa personnalité unique en perpétuelle mouvement. Dans ce récit d’une grande maturité possédant une construction originale et très dynamique, on peut lire le maillage délicat des interactions sociales et les codes qui vont avec, la naissance d’élans de solidarité face aux coups durs ou encore la complexité des relations familiales. Une bande dessinée colorée et authentique où se dévoile le portrait d’un jeune homme évoluant au cœur de notre société actuelle.

Sur le bout des doigts
De Colin Atthar
136 pages
Ankama éditions 

Entre son boulot répétitif, sa fille qui éclate souvent en sanglots avant de se rouler par terre et son mari accro au travail, on peut dire qu’Alice ne sent pas vraiment épanouie. Mais heureusement que Zorica Vouk est là pour prendre les choses en main et l’aider à chasser le cafard qui l’envahit ! Cette extra-terrestre experte intergalactique en êtres humains, vêtue de combinaisons moulantes à paillettes et coiffée d’une grande mèche blonde, est une vraie pro dans le domaine des théories cognitives et du mécanisme de la gestion émotionnelle. À bord du vaisseau mental, cette bonne fée des temps modernes va expliquer à Alice comment observer et décrire le flot de sentiments qui la submergent, afin qu’elle puisse davantage les déchiffrer.

Dans sa bande dessinée Émotive, Sandrine Martin nous invite à apprendre à mieux comprendre notre bouillonnement intérieur, en vulgarisant intelligemment et avec humour son mode de fonctionnement. Sa protagoniste principale, Alice, est une femme imparfaite et donc tout à fait crédible, à travers laquelle on peut facilement s’identifier afin d’appréhender le processus de ce qui se trame dans chacun et chacune de nous. Sa vie est faite de petits bonheurs, de coups durs et de routines aussi bien personnelles que professionnelles, dont certaines sont bénéfiques et d’autres paralysantes. Mais comment faire la différence, quand on a la tête sous l’eau et le moral dans les chaussettes ?

Épaulée d’Alice et de la dynamique Zorica, l’autrice déconstruit ainsi la chimie du cerveau et ses mécanismes, tout en nous conviant à prendre du recul, à analyser et à poser des mots concrets sur ce que l’on ressent afin de mieux le gérer. Et cela ne veut pas dire qu’il faut restreindre les pensées négatives, bien au contraire ! 

Au fil des différents voyages effectués par les deux protagonistes, on explore tour à tour la vie de couple, la parentalité ou encore le quotidien professionnel, autant de sujets où il est important de savoir s’écouter sans se laisser submerger. En rendant accessibles des clés que nous possédons toutes et tous, ce livre nous invite à nous poser les bonnes questions afin de trouver la force et le recul nécessaires pour changer les choses par étapes… lorsqu’il ne suffit pas tout simplement de relativiser pour gagner en légèreté ! De plus, le dessin pétillant et les couleurs toutes douces de Sandrine Martin apportent fraicheur et fantaisie à cet ouvrage de développement personnel analysant avec bienveillance nos états d’âme de petits êtres humains. 

Jamais moralisateur mais au contraire rempli de pep’s (grâce à la très enthousiaste Zorica) et ancré dans une réalité plausible, Émotive, voyages à bord du vaisseau mental dédramatise autant qu’il inspire !  

Émotive, voyages à bord du vaisseau mental 
De Sandrine Martin
232 pages
Casterman