Le Roi ensommeillé et Moi Edin Björnsson, deux albums aux teintes hivernales, bleutées, qui nous font voyager à la lisière des temporalités, brouillant délicieusement les frontières entre réel et imaginaire.
Ena n’a toujours connu que la neige, sa blancheur immaculée et le silence de ouate qu’elle pose sur toute chose. Habituée à la solitude, elle part souvent en vadrouille afin de dénicher de précieux champignons phosphorescents, poussant plus loin ses explorations jusqu’à se mettre en danger. Le fruit de ces cueillettes risquées est le seul moyen de sortir sa grand-mère de la longue torpeur hivernale qui a endormi tous les humains, grâce à une potion méticuleusement préparée. Pendant une poignée d’heures, Ena et son aïeule peuvent alors passer un peu de temps ensemble à se conter des histoires au coin du poêle, à l’abri dans leur minibus aménagé comme une maison douillette.
Décidée à trouver un remède à ce mal qui la prive de sa grand-mère, la petite fille se lance sur la piste de la grande ourse, une puissante magicienne croisée au cours de ses lectures et des récits de sa mamie.
Cette quête la mènera à la cour d’un château oublié, peuplé d’êtres anthropomorphiques où se terre un roi impitoyable que rien ni personne n’ose déranger. Les légendes racontent qu’il serait l’auteur de la malédiction glacée qui s’est abattue sur le monde, plongeant hommes et femmes dans un lourd sommeil sans rêves… Rendu fou de chagrin par un drame terrible, il se serait ainsi vengé avant de se reclure pour toujours, changeant progressivement de forme jusqu’à prendre des traits fauves.
Album jeunesse empreint d’un profond lyrisme, Le Roi ensommeillé trouve ses racines dans les contes traditionnels et folkloriques tout en étant porteur de messages ancrés dans notre actualité. L’histoire ne se déroule pas dans un passé lointain, mais un futur que l’on peut imaginer proche, abîmé dans le silence des neiges éternelles. On devine en effet, à travers le scénario poétique de Myriam Dahman, que cette ère glaciaire est une répercussion directe du comportement destructeur des humains. Passerelle entre deux mondes, Ena est porteuse d’un message de paix et pardon, délivrant le roi de la prison de douleur et de rancœur dans laquelle il s’est lui-même enfermé.
Les illustrations sublimes de Clément Lefèvre nous plongent dans ce récit métaphorique aux frontières entre le pays des merveilles et Narnia, nimbé de beaucoup de douceur et même d’une certaine mélancolie. Derrière les symboles féériques et les sentiments profondément déchirants personnifiés sous les traits d’ours magiques, sous l’onde endormie de ces neiges éternelles comme aux portes du royaume hors du temps, se cache un appel autour de la compréhension et de la préservation de notre environnement. Un livre envoutant, lyrique, où la beauté de chaque page nous invite à la rêverie.
Le Roi ensommeillé
De Myriam Dahman, illustré par Clément Lfèvre
Éditions Oxymores, collection Métamorphose
96 pages
Lors d’une séance de magnétisme, Edith découvre sa vie antérieure sous la forme de brèves indications : « XVIIIe siècle… en Suède… vous étiez un homme… un pêcheur… mmm… vous aimez les femmes ! Oh !… vous êtes décédé de mort violente… assassiné ! » À partir de ces quelques fragments, l’autrice décide de mettre en image l’existence de celui qu’elle fut peut-être, il y a plus de trois cents ans de cela.
C’est ainsi que, quelque part au bord de la mer baltique, Edin Björnsson voit le jour dans une maison en retrait d’un village de pêcheurs, un soir d’hiver 1769. Né frêle et chétif, le nourrisson va survivre et grandir auprès de sa mère et de sa tante, devenant un gamin effronté obligé de rejoindre un équipage de marins pour subvenir aux besoins du foyer. Dans cet univers masculin, où le bizutage crasse s’ajoute à l’apprêté d’un dur labeur, Edin pousse, gagnant en force, mais pas vraiment en maturité : en effet, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il papillonne de fille en fille sans jamais se soucier de ce que celles-ci peuvent bien ressentir… Mais arrivé au seuil de l’âge adulte, le jeune homme quitte le petit hameau qu’il a toujours connu et se laisse guider par le hasard, tant et si bien qu’il se retrouve échoué sur les plages normandes, seul survivant d’un terrible naufrage.
Si le (très long) titre de cette bande dessinée aux origines pittoresques peut laisser croire que tout est dit, Moi Edin Björnsson, pêcheur suédois au XVIIIe siècle, coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux, offre un récit d’aventures doux-amer plein de surprises. À travers les planches d’Edith, on ressent la morsure du froid et l’iode qui picote notre peau, on s’éblouit de la beauté des paysages nordiques dont elle a su capturer la lumière rasante et les étendues sauvages. Elle nous plonge dans la réalité de cette époque à laquelle la vie est dure et la mort hasardeuse, où la faim et la survie font partie du quotidien, mais où la pauvreté n’exclut pas la charité. Aux côtés de sa réincarnation fictive, elle raconte le tragique et le charme des petits riens, se laissant prendre au jeu d’une existence antérieure dont elle brode les différentes étapes selon les aléas causés par un chagrin d’amour ou par un tourteau tombé du ciel.
Si son potentiel « je » passé est un homme, l’autrice l’entoure de figures féminines fortes de tout âge qui guérissent, soignent, recueillent ou s’amusent. Elles sont partout, bruissent et accompagnant un temps Edin le long de ses pérégrinations. C’est une accoucheuse qui l’a mis monde, et c’est peut-être une femme qui le mènera sa perte…
De la Suède à la France, Moi Edin Björnsson nous entraine à la poursuite d’une vie imaginaire, dont les racines atypiques se sont déployées en une odyssée rocambolesque. Une BD coup de cœur, aux teintes polaires relevées par une subtile touche d’humour piquant.
Moi Edin Björnsson, pêcheur suédois du XVIIIe siècle, coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux
Edith
Éditions Oxymores, collection Noctambule
112 pages
Caroline