Considéré comme le maître de l’animation japonaise, reconnu pour son talent de conteur et la beauté de ses dessins, Hayao Miyazaki a travaillé pendant des décennies à rendre le monde un peu plus doux et magique. Si ses films sont tous des chefs d’œuvres internationalement encensés, une partie de son art reste encore peu connue en dehors des frontières nippones faute de traduction.
Deux ans avant la création des célèbres Studio Ghibli, Hayao Miyazaki a réalisé un monogatari inspiré d’un mythe traditionnel tibétain qu’il aurait souhaité adapté au cinéma. Bien que le projet final n’ait jamais vu le jour, un livre est publié sous le titre de Shuna no tabi, où se dessinent en filigranes toutes les thématiques chères à l’artiste.
Le Voyage de Shuna a mis quarante ans avant d’être accessible en français, et pourtant il résonne en nous comme s’il avait été écrit hier.
Prince d’une tribu habitant des paysages arides où presque rien ne prend racine, Shuna décide un beau matin de partir à la recherche d’une céréale poussant à foison au-delà de toute frontière connue. En compagnie son fidèle yakkuru, il parcoure des centaines de kilomètres dans l’espoir de sauver les siens de la famine, chevauchant au pied de citadelles maudites et de villes faisant commerce d’esclaves. C’est dans les ruelles crasseuses et bruyantes de l’une d’elles qu’il va faire la rencontre de Thea et de sa petite sœur, dont il va rompre les chaines et entrainer la rage des asservisseurs. S’engage une traque effrénée jusqu’au bout du monde, sur les rivages brumeux au-delà desquels se déploie le pays des êtres détenant le fameux sésame, la graine dorée qui promet nourriture en abondance à celles et ceux qui la cultive. Le voyage de Shuna ne fait alors que commencer…
Véritable conte philosophique où se mêlent vaillance, onirisme et amour, cette épopée résonne de la magie terrible qui peuple l’œuvre de Miyazaki, celle qui révèle le meilleur comme le pire qui se cache en chacun. Au cours de cette quête pour sauver les siens de la famine, Shuna se heurte aux grandes horreurs humaines, parcourant des contrées cruelles et sans pitié où règne la loi du plus fort. Faisant écho à notre société contemporaine, les mieux lotis exploitent les plus vulnérables et les plus démunis font toujours preuve d’une incroyable générosité, là où les puissants gardent jalousement leurs biens : des paysages désertiques à la luxuriante forêt, le mal semble nécroser toute chose. Pour survivre, Shuna s’accroche à l’amitié qui l’unit à son yakkuru, à l’espoir de mener sa quête à bien, aux sentiments naissants qu’il ressent pour Thea.
À travers la faune et la flore, ainsi que les personnages de ce récit, on devine l’atmosphère et les traits d’Ashitaka (Princesse Mononoké) ou encore de Nausicaä de la Vallée du vent, deux fables écologiques où Hayao Miyazaki nous transportent par la beauté à couper le souffle de ses dessins jumelés à ses talents de conteur. Vibrant d’une puissance et d’une tension qui enivrent autant qu’elles ne tiennent en haleine, Le Voyage de Shuna « porte un regard sans haine » sur notre humanité, avec ce qu’elle comporte de plus sombre comme de plus merveilleux.
Éditions Sarbacane
160 pages
Traduit du japonais par Léopold Dahan
Caroline