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Jean-François Beauchemin – Le Vent léger

Nichés au cœur de la campagne canadienne des années 70, les Cresson profitent avec une joie sereine et un émerveillement discret des petits bonheurs de tous les jours. Dans cette famille nombreuse composée de six enfants et des deux parents, observer la beauté des choses simples est aussi instinctive et importante que respirer. Ensemble, ils partagent ainsi un quotidien heureux où chacun est libre d’exprimer sa personnalité et de vaquer à ses occupations, qu’il s’agisse de fabriquer des chaises en bois tout en imaginant des poèmes nuls, ou bien de méticuleusement constituer un herbier et de plonger ses mains dans la terre meuble.
Cependant, leur histoire a cette particularité de posséder une sobriété sans heurts, synonyme d’une substance somme toute commune bien que singulièrement lyrique, mais surtout d’une réalité où les mauvaises choses peuvent néanmoins surgir. Sans raison, juste parce que la vie et la mort font partie d’un même grand tout, la maladie frappe de plein fouet le cocon tranquille et préservé des Cresson, sous les traits d’un cancer qui prend racine dans le corps maternel. 

Pourquoi raconter cette histoire, somme toute pas moins banale que les autres ? Je n’en sais trop rien. Peut-être afin de laisser en moi au moins une trace de cette famille encore intacte qui, entremêlée à son époque, marchait en dépit de tout à la rencontre de la beauté. Peut-être aussi afin de me rappeler avec le plus de précision possible ces huit personnes qui n’auront fait que passer, huit fusées d’argent, huit météores tombés sur la Terre mais sans fracas ni déclenchement de cataclysme, sans ce grand trou que laisse habituellement l’impact du ciel percutant le monde. Et puis pour me souvenir que nos esprits et nos cœurs quand ils s’unissaient négociaient mieux les courbes dans le tournant abrupt des choses, que ce qui nous importait était non seulement notre propre situation, mais également l’état de santé du vaste monde, la guêpe venue reposer sur ses épaules ses ailes inquiètes.

En saisissant avec délicatesse les éclats tout aussi modestes que lumineux de l’existence, Jean-François Beauchemin (Le Roitelet) nous plonge dans une ambiance douce-amère où chaque phrase détient sa propre musicalité, vibrant d’une simplicité authentique. Le Vent léger effeuille les souvenirs d’enfance d’un homme d’âge mûr remontant le cours des moments heureux et de l’apparition du cancer qui menace le bonheur familial jusque là intact. Il touche de l’âme le rythme des saisons, où les jours se mêlent à la course des nuages et aux rayons du soleil, tandis qu’un bouc chevelu caracole non loin de la ferme d’un veuf collectionneur de papillons et de mots. 

C’était bien sûr un ordre, je dirais, aléatoire, dépendant du hasard, risqué. Mais enfin, c’était un ordre. « J’ai fini en tout cas par me convaincre, poursuivait-il, que la réflexion n’est jamais une affaire de modes, mais bien plutôt son exact contraire, et doit être assez semblable justement à un herbier, dont les éléments s’opposent au temps non pas en s’asséchant, mais par l’effet d’une espèce de silence de leur matière vitale

Apposant le merveilleux à l’ordinaire, le charme des aurores à l’automne du deuil, Le Vent léger caresse avec poésie le portrait d’une famille soudée et aimante face à la mort. On retrouve dans ce livre l’amour inconditionnel de l’auteur pour la nature et le cœur des hommes, pour les liens fraternels qui inventent leur propre langage, pour les paisibles et tendres fantômes, pour la vie qui s’égraine et s’envole, portée par le vent léger. Avec une justesse authentique et belle, Jean-François Beauchemin explore les sentiers intimes et universels de l’âme et du monde, la voix des gens ordinaires qui brillent par leur intelligence sensible.  Aux côtés de ces six enfants et de leurs deux parents unis éclosent une gravité et une finesse touchantes, bruissantes et douces comme des copeaux de bois, nous enveloppant à chaque page.

Jean-François Beauchemin est un auteur à lire absolument pour se rappeler l’enchantement des choses même dans les moments les plus durs, et dont les récits devraient se prêter et s’offrir pour partager des fragments de beauté rare. 

Beaux étangs bariolés de poissons, belles nuits piquées d’astres, prenez soin de cette femme qui dort. C’est ma mère enterrée sur le bord de son corps et de mon inépuisable passé.

Jean-François Beauchemin Le Vent légerÉditions Québec Amérique
184 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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