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Bénédicte Dupré La Tour Terres promises couverture

Bénédicte Dupré La Tour – Terres promises

Entre le début et la fin du XIXe siècle, des centaines de milliers d’hommes et de femmes ont migré en direction du Nouveau Monde, portés par l’espoir d’échapper à la misère en faisant fortune sur ces terres vierges, promesses de tous les possibles où chacun peut prétendre devenir quelqu’un. Entassés avec leurs maigres biens dans des chariots bâchés, ces colons ont traversé les contrées arides et les hivers meurtriers en désirant rejoindre l’une de ces villes nouvelles qui poussaient comme des champignons. Le long des rivières, les pailleteurs se cassaient le dos sur leurs tamis en quête de pépites, les taverniers faisaient profit grâce au mauvais alcool et les prostituées accueillaient dans leurs girons les orpailleurs arasés. Mais en parallèle de ce fourmillement humain aux effluves brutales, venus imposer leur civilisation en s’accaparant des terres en une vague d’expropriation destructrice, le sang des Premières Nations bouillonne.  Les tribus entrent en guerre avec ces colons qui dépouillent leur pays, fourrageant ses entrailles et souillant ses eaux pour en extraire quelques grammes de poussière d’or.

« Quand elle fit un pas vers l’homme qui ferait d’elle autre chose qu’une prisonnière, elle avança au hasard, car plus tien n’importait qu’attendre les temps ultimes. Lui, un autre, cela n’avait aucune sorte d’importance, puisqu’ils se valaient tous. Ils se valaient tous puisqu’ils ne valaient rien. À ses yeux, ils n’étaient rien qu’un désir qui se mord, comme ces chiens qui s’attaquent à leur queue sans comprendre.
Cependant, quand elle fit un pas au hasard, comme on fait un pas dans le vide, ce qu’elle portait en son ventre tressaillit violemment.
L’enfant à naître était du Nord, et voilà que sa mère, enlevée aux siens, devenait une femme de l’Ouest. Lui aussi le devenait à son tour, car il était encore dans sa chair. Tout ce qui était elle était lui également. Il n’était pas né qu’il était déjà hors de lui, une grande injustice advenait, et ce morceau de chair ruait comme un cheval rétif. Mais peut-être tressaillait-il pour sa mère qui se pétrifiait, pour la maintenir avec lui de ce côté du monde, refusant l’appel du vide. »

Morgan Bell, Eliott Burns, Wakiza , Eleanor Dwight, Bloody Horse… Autant de figures imaginaires dont les destinées s’élèvent et s’entrecroisent entre les pages de Terres promises, récit choral où Bénédicte Dupré La Tour tisse le motif complexe, à la fois terrible et foisonnant, des vies sacrifiées et oubliées au profit de la grande Histoire. Au cours des chapitres, ce premier roman forme un puzzle où les pièces nous sont distribuées peu à peu, jusqu’à la dernière ligne. Avec comme toile de fond la période de la ruée vers l’or, Terres promises nous plonge dans le bouillonnement aveugle qui poussait l’humanité à souvent commettre le pire pour survivre.

En levant le voile sur la réalité qui se cache derrière le rêve américain et les westerns fantasmés, l’autrice évoque la colère grondante des populations disséminés, la violence quotidienne des existences qui s’escriment pour quelques paillettes aux reflets dorés, la sanglante conquête d’une terre prise de force. En creux des paysages désertiques, des villes fantômes ou encore des forêts abattues, se dessinent les corps meurtris des femmes violées, des hommes que l’espoir a abandonnés et des peuples natifs dépouillés de leur histoire. Une centaine d’années a suffi pour changer à jamais ce continent, secoué par les poussières d’or et d’espérance. Sa nature sauvage s’est transformée en filon aurifère, la terre mère nourricière a été saccagée à l’image de ceux et celles qui ont été exploités jusqu’à l’os. De leurs ombres dansantes, Bénédicte Dupré La Tour fait rejaillir les rêves de liberté et les souffles tragiques dans une cadence de liens qui se font et se défont douloureusement.

« Sous un pin recouvert de lichens, Wakiza observait des fourmis. Il mâchait un morceau de viande séchée, sous les lambeaux vert-de-gris des lichens, dans cette forêt d’avant les hommes, qui attendait qu’ils disparaissent de la surface comme ils étaient venus, en se consumant d’eux-mêmes dans un éclair violent, cette forêt qui attendait avec sa patience végétale, dans sa très vaste indifférence au sort des êtres de sang. Wakiza s’accordait un répit. […]
Les vallées encaissées, les éboulements, les arbres morts, les torrents semblaient n’être là que pour empêcher les humains d’atteindre leur but. Et cette volonté des éléments se jouait des obstinations humaines, elle cherchait à les éprouver rudement. Les journées se firent plus courtes, la fraîcheur plus tenace, dans les premiers flamboiements de l’automne. Le long des hautes parois rocheuses, le soleil donnait son lent bal d’ombres. Partout, des pics acérés, des encaissements abrupts, des forêts impénétrables. »

Bénédicte Dupré La Tour Terres promisesLes éditions du Panseur
320 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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