Le futur de la littérature est féminin !
Depuis bientôt une décennie nous assistons à un renouveau littéraire fascinant. Une approche narrative qui s’épanouit hors des lieux communs établis par une littérature masculine qui fut trop longtemps considéré comme la bonne manière de raconter, conter, sublimer. Une forme d’abolition de l’hégémonie pour débrider la créativité et proposer un autre regard et une autre sensibilité sur notre rapport au monde.
Il y aurait une analyse passionnante à faire, et des autrices incroyables à mettre en avant, qui n’ont de cesse, texte après texte, de proposer un renouveau aussi grisant que puissant. Avec son second roman, « Propre », l’autrice chilienne, Alia Trabucco Zerán s’inscrit totalement dans ce renouveau. Nous avions pu la découvrir avec un premier livre traduit en français par Alexandra Carasco (La soustraction), paru en 2021 aux éditions Actes Sud. Roman qui questionnait l’héritage de la dictature chilienne.
Le résumé de « Propre » tient en peu de ligne. Au travers du monologue d’Estela, nous découvrons sept années de sa vie, comme servante pour un couple fortuné. Sept années allant de la naissance de leur fille, Julia, jusqu’à la mort de cette dernière.
En substance, c’est ce à quoi vous allez assister au fil des pages. Mais en fait, c’est plus, même beaucoup plus que l’histoire racontée qui se joue.
En effet, ici, nous comprenons très rapidement qu’Estela est enfermée dans une pièce, probablement une salle d’interrogatoire, et nous pouvons en déduire qu’elle est la principale suspecte de la mort de la fillette.
Le monologue installe un rythme, une certaine musicalité dans la narration, ici les mots s’enchaînent, la pensée rayonne d’une manière limpide, tantôt proposant une structure très ordonnée, tantôt dans une structure en arborescence. Les allers-retours entre les sept années, le présent de la salle d’interrogatoire, puis son vécu dans le sud du Chili, prolétaire, dresse petit à petit un tableau empirique de mondes qui s’entremêlent, mais qui ne vivent jamais réellement ensemble.
Ce qui a pour but de nous montrer plusieurs choses. Il y a tout d’abord le rapport de domination entre ses employeurs et Estela. Une domination qui l’oblige à s’effacer en tant qu’individu, jusqu’à ne plus exister que comme bien familial et une forme d’aliénation. Ensuite, nous avons la confrontation des classes. Le sud pauvre et Santiago, un Chili fracturé, mais deux mondes paradoxalement différents. Un pays qui a l’image de ce couple s’impose avant tout et surtout par la concentration de ses richesses qu’il possède au détriment des autres.
Le tout est habilement construit dans ce monologue. Une écriture de l’urgence, de la survie, qui bien que faussement simple, se révèle plus subtil et malin qu’il n’y parait. Au fur et à mesure, nous découvrons une Estela lucide et fine dans son récit, donnant une dimension d’autant plus symbolique et puissante qui nous entraîne dans une zone grise où le bien, le mal, le juste ou encore l’éthique ne sont jamais clairement définit.
Avec « Propre » , Alia Trabucco Zerán de part son propos et son style offre un texte puissant. Un roman court, superbement traduit par Anne Plantagenet, qui s’impose comme une belle découverte de cette rentrée littéraire 2024.
Editions Robert Laffont,
Trad. Anne Plantagenet,
272 pages,
Ted.