Quand je ne dis rien je pense encore est le premier recueil de Camille Readman Prud’homme, autrice Montréalaise, qui décrypte les dessous d’un théâtre social du moi, ce qui en infra assaille. La voix se fait proche, intérieure, murmurée à l’oreille et au cœur. On pense à la sous-conversation de Sarraute, à ce qui passé sous silence se retrouve en l’envers démesurément grand. C’est là que la pensée résonne, emplit l’espace, cogne ou se meurt entre le dedans et le dehors : « quelquefois tu manques de mots / ou plutôt d’espace pour dire les mots qui auraient pu être / une parole reste une pensée ».
Dans cet espace, la pensée contenue s’infiltre en tous domaines, comme une contamination galopante et poreuse sous la peau : « Tu vois dans les contours des enfermements. Ta peau te clôture ». C’est l’écriture qui enregistre alors les tremblements, contient le trop-plein, fait affleurer les contradictions criantes. On a posé les masques, on se frôle aux lisières, on se tient sur les seuils.
« on croit que ceux qui ne parlent pas
ne pensent rien
que ceux qui sourient
sont heureux
on croit aussi que ceux qui sont convaincus
ont raison
que ceux qui écoutent
obéissent »
Flux de paroles attrapées au vol, les anaphores deviennent un point d’entrée sur le monde, glissant, qui semble entourer l’être. C’est de ce point fixe que Camille Readman Prud’homme ouvre le regard, dit l’homme et les réalités adjointes qui s’y déploient, ses contrepoints. Dans ce silence il y a la voix des mutiques « j’ai écrit parce que c’était la seule façon de parler en se taisant » (P. Quignard).
« j’ai connu des gens qui se réfugiaient dans les objets, ils pensaient trouver du calme dans l’alcool et de l’aisance grâce à certains souliers. moi aussi j’ai tout essayé, j’ai cherché de la désinvolture dans les blousons et de l’élégance dans les parfums, j’ai voulu croire aux talismans, j’ai voulu être inébranlable.
j’ai connu des gens qui parlaient de ce qu’ils aimaient comme s’il s’agissait d’une partie d’eux-mêmes, j’ai cru que certains coins de la rue et certains films leur appartenaient. Ils ont pris Ella Fitzgerald et la rue Fullum, j’ai pris les lilas en fleur et la couleur ocre. Parfois nous sommes entrés dans une sorte de compétition de l’amour, ce que nous avons tu, nous l’avons perdu, ce dont nous avons parlé, nous l’avons gagné
j’ai connu des gens que j’aurais voulu sauver, ils avaient des talents exceptionnels et des rafales d’angoisse. j’ai connu des gens que l’inquiétude ne visitait jamais, et qui avait l’air bien partout ».
Avant d’écrire de la poésie, Camille Readman Prud’homme a été danseuse. Attachée à une rigueur qui soutient pour mieux libérer, elle instaure un cadre stylistique à priori distancié, une sorte de listing ou d’état des lieux dans lequel elle tient une partie du monde visible, cartographie peu à peu fissuré de l’autre monde, que l’on pourrait qualifier de sensible.
Quand je ne dis rien je pense encore, Camille Readman Prud’homme
L’Oie de Cravan
2022
108 pages
Emilie