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Marina de Van – Lettre à ma chatte

Sa ressortie aux éditions Abstractions, accompagnée d’une préface de Pascal Bonitzer, souligne l’importance de ce texte dans son parcours : avec Lettre à ma chatte, Marina de Van propose un autoportrait sous forme épistolaire, où elle s’adresse avec une sincérité désarmante à sa chatte Nisar. Un cadre qui pourrait paraître anecdotique, mais qui est pourtant le prétexte à une introspection sans filtre, et l’occasion de se livrer sur ses zones d’ombre, ses douleurs et sa relation complexe à elle-même, et surtout aux autres.

Initialement paru en 2022, Lettre à ma chatte revient dans l’actualité littéraire, agrémenté de cette préface dans laquelle Pascal Bonitzer souligne encore que le véritable destinataire de cette correspondance n’est peut-être pas l’animal, mais plutôt une réflexion sur soi-même. Il éclaire ainsi une tension centrale dans l’œuvre de Marina de Van, celle de l’auto-perception monstrueuse. Une idée qui, loin de s’éloigner de l’intimité, en devient le cœur : l’écriture devient un moyen de sonder cette interrogation existentielle omniprésente chez l’auteure, qui questionne son propre rapport à l’inhumanité et à la différence.

Dès les premières lignes, le ton est donné : Marina de Van n’élude rien de ce qui pourrait la rendre vulnérable, évoquant avec la franchise crue qui la caractérise ses moments de doute, ses échecs, mais aussi la lumière intérieure qu’elle tente de saisir. Ses mots, d’une simplicité apparente, nous transportent dans un univers chargé de contrastes, où chaque fragment de quotidien et chaque émotion sont portés par une écriture à la fois incisive et poétique. Comme toujours, elle parvient, en cherchant à comprendre les complexités de l’expérience humaine et malgré la concision du propos, à mêler douleur et beauté dans un texte tout aussi puissant que bouleversant.

“Quand je suis près de toi, c’est une paix et une joie profondes qui se lèvent en moi. Tes pattes sur ma peau, le poids de ton corps, la douceur de ta fourrure. Mais lorsque je sors, le manque est violent, déchirant. Je te parle même dans la rue, je te chante des chansons. À la maison, le discours s’enflamme et brûle comme une bouffée délirante. Je suis intarissable dans mes propos. Il y est question de droits constitutionnels, de procès, de hiérarchie, de devoirs, de litiges. C’est un discours imaginaire, presque exclusivement juridique, répétitif, et avec lequel j’espère maintenir ton intérêt en éveil. Je ne te parle pas avec ma voix normale. J’ai une voix suraigüe. Je ne veux pas que tu ignores que je m’adresse à toi, faute d’avoir une voix différente des coups de fil ou des rares visites, où tu peux entendre que je parle d’une voix plus grave, plus mûre. J’ai choisi pour toi une autre fréquence. Quand je suis dehors, j’abandonne cette voix trop stridente, je marmonne plutôt, toujours à ton intention. Je te dis que je pense à toi, que je serai bientôt là, que j’ai hâte de t’embrasser et te toucher. Et je fredonne des berceuses improvisées.” (p. 15-16)

Ce qui rend Lettre à ma chatte si particulier dans son approche, c’est la forme même de l’œuvre : une correspondance intime, entre l’auteure et un être “non humain”, qui se transforme en miroir de ses propres errances intérieures. À travers sa relation avec sa chatte Nisar, Marina de Van aborde des questions profondément existentielles et réactualise les thématiques qui traversent toute son œuvre, qu’il s’agisse de la perception du corps, de la souffrance psychologique ou encore de la solitude. Avec, à la clé, une réflexion plus universelle qu’il n’y paraît sur le lien ténu entre soi et l’autre, qu’il soit humain ou animal, du moment qu’il est extérieur et donc insaisissable.

Via cette sincérité brute, cette capacité à ériger la douleur comme prisme à travers lequel elle appréhende le monde, Lettre à ma chatte incarne à merveille cette dualité constante qui définit l’œuvre de Marina de Van : une exploration de la vulnérabilité humaine, rendue palpable par une écriture maîtrisée qui ne laisse jamais indifférent. Mieux encore : ce court récit, par son honnêteté, dépasse son intention initiale et touche au plus profond de notre humanité.

La fascination pour l’animal n’est ici qu’un vecteur, comme l’indique Bonitzer, pour Marina de Van de continuer à interroger cette “monstruosité” qu’elle pense incarner. En abordant la difficulté de vivre avec l’autre, la réciprocité fragile des relations, Marina de Van capture au passage une réalité contemporaine marquée par le rejet croissant des relations intimes, notamment chez les jeunes générations. Les statistiques récentes montrent un recul des engagements traditionnels, les jeunes adultes choisissant souvent de privilégier l’indépendance personnelle à la complexité des relations amoureuses. Ce phénomène résonne particulièrement dans cette lettre, où l’attachement à l’animal devient un substitut aux relations humaines, plus faciles à supporter dans leur simplicité et leur absence de jugement. Aimer est difficile, la réciprocité est un miracle, et vivre avec les autres peut être douloureux. Marina de Van exprime avec force cette tension entre désir d’intimité et peur de l’engagement, une réalité qui trouve un écho croissant dans notre société. Malgré cette solitude, l’auteure a cette faculté qui lui est propre de nous mettre face à nous-mêmes, rappelant à chacun son propre combat contre le rejet, l’abandon, et la tristesse de la solitude humaine.

Lettre à ma chatte revêt à ce titre une beauté universelle et une utilité absolue, bien au-delà de l’affection que l’on pourrait porter aux félins. Sa poésie, condensée dans chaque mot, dévoile toute la puissance de l’auteure, offrant un moment de grâce inoubliable et d’une intensité rare, comme toujours chez Marina de Van.

Editions Abstractions
ISBN : 978-2-492867-49-1
94 pages
Faustine

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