La corde au cou, la tête dans la piscine ou la gorge tranchée, Harold Chasen, 20 ans, aime se suicider. Et quand il n’imagine pas de nouvelles possibilités de mises en scène, il parcourt la ville dans son corbillard pour assister à différents enterrements (de personnes qu’il ne connaît pas bien évidemment). Sa mère, riche aristocrate, ne supporte plus les lubies de son fils et tente désespérément de le remettre dans le droit chemin en organisant des rencontres avec de jeunes filles bonnes à marier et en lui infligeant des séances chez le psy.
I wish I had, I wish I had, the secret of good and the secret of bad. Why does this question drive me mad? Cause I was taught when but a lad that bad was good and good was bad
Il croisera à plusieurs reprises une vielle dame lors de ces enterrements. Maude, 79 ans, toutes ses dents et un grain de folie à faire trembler Nixon. Voleuse de voiture, arracheuse de sourire aux statues saintes, Maude est le négatif de Harold. Son positif plutôt, qui va embringuer le jeune homme dans son sillage.
Stéréotype du jeune des années 60-70, Harold est enfermé dans sa coquille, rejette l’extérieur et n’existe que dans son rejet des conventions établies par sa mère. Il n’échange pas, ne recherche et n’attend rien, que le temps passe. Tandis que certains sont au Viet-Nam et que les autres, hippies, étudiants… luttent et s’engagent dans un combat contre la société américaine qui s’accroche à des valeurs qui fleurent encore les champs de coton et la femme à la maison, Harold représente cette jeunesse qui attend que jeunesse ne se fasse pas, perdue et désemparée, qui ne se revendique même pas comme individualiste, se considérant à peine comme des individus dignes d’intérêt.
And if you want to sing out, sing out, and if you want to be free, be free, ’cause there’s a million things to be, you know that there are
Maude, elle, est la quintessence de tous ces mouvements sociétaux américains. Faisant fi des règles, elle vit comme elle l’entend, suivant ses principes et sa vision du monde. Figure de la vieille excentrique qui s’émerveille de tout, elle se révèle un personnage bien plus profond. Une ligne faite de chiffres et de lettres gravés à l’encre sur le bras, qui aurait pu lui faire perdre le sens de l’humanité, la pousse au contraire à donner coûte que coûte un but, un intérêt à ses actions, ne serait-ce que la beauté du geste, son unicité, sa nouveauté. Elle va entraîner Harold avec elle et, doucement, construire à partir de ce bloc de marbre froid qu’était le jeune homme un garçon avec une conscience. Non pas nécessairement politique, mais une conscience du monde, de l’autre, de l’altérité et de l’échange.
I think I see the light, I think I see the light coming to me, coming through me, giving me a second sigh
Mais Harold et Maude est surtout une histoire d’amour qui nous rappelle ce que ce genre de choses nous apporte: la découverte de l’autre, l’impatience des retrouvailles, les envies qui naissent avec les peurs, et ce grain de folie qui nous prend et nous donne envie d’aller plus loin, de traverser des frontières, et pourquoi pas de sauver un petit arbre?
160 pages
Éditions Folio
Marcelline