Vous aimez les histoires? Ça tombe bien Arno Schmidt en a plein. Ici, 28 qui n’attendent que vous. Des histoires de géodésie, des histoires macabres, des histoires animales, des histoires de clefs… Que l’on se retrouve autour du feu avec un verre de vin blanc en compagnie du chef géomètre Von Stürenburg et sa clique, ou aux côtés d’un narrateur (Schmidt?) qui nous livre ses observations quotidiennes sur les faits et gestes de ses contemporains, il y a toujours une bonne anecdote au bout des lignes. Et puis au milieu aussi. Et dedans.
« Lire est terrible! » dit-il en décrivant le transfert que tout un chacun subit en lisant et transposant sur son visage et dans son comportement les mimiques, expressions et sentiments des personnages.
« Des livres somnifères, voilà ce qu’il faudrait: au style visqueux, avec des mots filandreux, long comme le doigt, qui s’effiloche à la fin en incompréhensibles volutes syllabiques; des consonnes en furie (à la rigueur une unique fois une voyelle foncée en « ou »: des livres contre la pensée ».
Et s’il y a bien une chose que Schmidt ne fait pas, c’est d’aller contre la pensée. Bien au contraire, il l’écrit. Véritable orfèvre littéraire, il use de tous les outils à sa disposition: phrases, mots, lettres, ponctuation, pour nous plonger dans le courant de ses réflexions, avec toutes ses subtilités, toutes ses phases et ses niveaux, nous raconter l’histoire derrière l’histoire. Que dis-je, nous raconter. Nous impliquer, nous fondre, nous immoler dans sa pensée.
Évocations de l’Allemagne nazie, de la guerre, de la vie avec le rideau de fer ou simples histoires de rue, Arno Schmidt nous transporte d’histoires (d’apparence) légères en tranche de vie tragiques. Mais il se démarque, et de loin, par son intelligence formelle. Car si pour écrire un livre, outre du papier et un stylo, il faut des mots, Schmidt les prend, les démonte, les façonne selon son bon vouloir; il prend les parenthèses, les slashes, les différents points et virgules pour en faire un véritable moyen d’expression.
« Étais installé 1 jour non loin de mon hôtel pour faire des esquisses.-/-: passe une voiture décapotable; avec dedans 1 monsieur & 1 jeune dame, (au volant)./ Beau temps; hautes pressions 770 millimètres, (l’idéal pour les diables!); le lendemain je continue donc à dessiner. (En fait, un groupe d’aulnes le long du ruisseau; et pour animer le paysage, une baigneuse de 15 ans avec des seins à très grands yeux: raffiné!)./ L’auto repasse. Stoppe. Redémarre.-(Dès lors, j’étais sûre de mon affaire. Continuais donc à dessiner encore plus vigoureusement ) »
Écrivain réputé difficile car son maniement des mots, des langues et des signes peuvent vite perturber tant ils ont un rôle important dans la lecture, délimitant, définissant les niveaux de lecture, introduisant du sens là où l’on n’a pas l’habitude d’aller le chercher, Arno Schmidt mérite pourtant tellement ce léger effort d’adaptation. En cela le recueil Histoires est idéal: il présente des nouvelles très courtes qui nous familiarisent progressivement avec la langue de Schmidt et permettent une immersion totale, sans bouée et sans peur, dans cette folle expérience. Il rend le texte vivant, physique. Et à la fin, on en redemande! (et on tire son chapeau au traducteur)
« Je pris les pesants os de ses bras, et me les mis autour du cou. Les miens autour de sa cage thoracique. Longtemps. Et nous accrochâmes nos deux visages lunettés l’un à l’autre. Longtemps. Éclipsedelunechampdefoirfeudartifissénoch! »
173 pages (avec la postface)
Tristram
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Marcelline