Karel Čapek – Rossum’s Universal Robots (R.U.R.)

Robot: n.m – 1924, du tchèque robota « travail forcé » pour désigner des ouvriers artificiels dans une pièce de K. Čapek (Le petit Robert 2010)

On y pense peu, mais il faut bien que les mots suivent les projections folles et fantasques des esprits malades des grands écrivains. Parce que sinon ils vont avoir du mal à rester écrivains. Karel Čapek est un grand écrivain. L’expression « mind-blowing » a été interjectée pour la première fois pendant la lecture de La guerre des salamandres, quelque part dans le Northamptonshire par une jeune fille de ferme, et reste le qualificatif principal et essentiel de son œuvre. Čapek éclate dans la caboche, il époustoufle, à en devenir fou.

R.U.R est une pièce de théâtre écrite en 1920 qui a connu un succès considérable à sa sortie. Qualifiée de drame utopiste à l’époque, Čapek y présente une usine. Celle de Rossum’s Universal Robots, qui produit et vend dans le monde entier des êtres humains artificiels qui peuvent remplacer les vrais humains dans diverses tâches et travaux. Dans toutes les tâches et travaux en fait. Car le propriétaire de R.U.R, Domin, est de cette espèce persuadée que le travail empêche l’être humain de se développer et de s’accomplir dans toute sa splendeur, son intelligence et sa sagesse. La création et la commercialisation des robots est donc le premier pas vers cet humain nouveau, et vers un monde meilleur. Domin est entouré par sa femme et ses collaborateurs, qui observent la mégalomanie grandissante de leur boss et mari en se disant que décidément, même quand elle est bonne, il ne faudrait jamais laisser le pouvoir à l’homme d’une seule idée.
Les robots ne sont pas complètement humains. Si Rossum, leur créateur, celui qui a découvert le secret de la vie, a tenu a faire leur anatomie identique à la nôtre, le secret de l’âme, lui, reste bien gardé. Pas de conscience de vie ou de mort, d’amour, de haine, d’implication, de volonté. Le travailleur idéal on vous dit! Jusqu’au jour où… La prise de conscience a lieu. L’humanité tombe dans l’oisiveté la plus totale, il n’y a plus de changement, plus de découvertes, plus d’enfants non plus. Les robots eux, sont de plus en plus nombreux, et se rendent progressivement compte de leur supériorité, numérique et active. Ils en viennent à ne plus supporter d’être les esclaves de maîtres tels que les humains, qui végètent et ne servent à rien quand eux leur sont tellement supérieurs, et décident donc de se révolter.

Avec ses robots, c’est l’humanité que Čapek interroge: l’humain qui se prend pour un dieu et crée la vie, au plus près de la sienne, une vie perçue comme anormale, car dépourvue de ce qui rend vraiment humain, les sentiments, les sensations, les envies… Quant aux robots, pour devenir humain à la place des humains, c’est en reproduisant ce qui leur semble être nos traits dominants: le pouvoir, la guerre, la destruction: « Il faut régner et tuer pour être comme les hommes. Lisez l’histoire! Lisez les livres des hommes » lance le robot Damon.
Constamment Čapek questionne le rapport de l’humain à l’humain, et constamment on ne sait s’il faut être ébloui ou terrifié. Ébloui par le talent, l’originalité et la prescience de l’auteur tchèque, et terrifié justement par cette peinture trop réaliste. Car il y a toujours l’effet boomerang de se souvenir d’un coup d’un seul que ses romans ont tous été écrits dans l’entre-deux-guerres, et que ça promet pour la suite…

Mind-blowing on vous dit! Un vrai feu d’artifice dans la tête, qui nous fait nous rappeler (et c’est bien) que c’est aussi et surtout pour ça que la littérature, comme la bière, c’est la vie.

219 pages
Minos, Éditions de la Différence
Marcelline
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