La Terre a rendez-vous avec la Lune…
Astérix et Obélix le redoutaient, et cette fois c’est la bonne, le ciel est sur le point de nous tomber sur la tête…
Ou plutôt la lune, qui ne tient plus qu’à un fil à l’étoffe des cieux.
Retrouvé enterré et protégé dans un thermos par la société royale d’Abyssinie, le manuscrit Hopkins est un témoignage précieux, car unique, des événements qui précédèrent les derniers jours de Londres, et la dernière trace écrite de la civilisation d’avant la chute de l’Europe occidentale.
Heureux éleveur de volailles, Edgar Hopkins est également membre de la Société Britannique de la Lune. Homme fat et suffisant s’il en est, il se retrouve, pour son plus grand plaisir, détenteur d’une information aussi capitale que (temporairement) confidentielle: la Lune dévie de son orbite et s’apprête à s’écraser sur Terre.
Nous suivrons, pendant la première partie du roman, le regard d’Hopkins et son ressenti sur l’annonce et la préparation à cette catastrophe possiblement mortelle qu’est l’écrasement de la Lune sur la Terre. Aviculteur passionné, ancien professeur, Edgar Hopkins est sans doute l’un des personnages principaux les plus méprisables qu’il soit. Mesquin, hautain, égocentrique, il n’a que dédain pour les villageois qui vivotent sans se rendre compte de la chance qu’ils ont d’habiter auprès d’un homme comme lui. Dès le début de son roman, Sherriff pose les bases: pour la société royale d’Abyssinie, comme pour nous, Hopkins est un con. Vivant selon les règles sociales les plus archaïques de l’Angleterre post-victorienne, il se réjouit de ses succès lors d’expositions aviaires, se délecte d’être le centre de l’attention de tous et recherche l’approbation de sa puissance morale auprès de chacun. Il va sans dire que quiconque ne la lui donne pas n’est qu’un rustre sans éducation.
Et pourtant la plus grande bêtise ne se cache pas où on l’attend, et la seconde partie nous montrera qu’Hopkins n’est finalement que le témoin passif et malheureux de la constante révolution de l’histoire. Car lorsque les catastrophes arrivent, le populisme, le nationalisme et la violence prennent toujours le dessus, « dressant un rempart de fer et de sang », et laissent libre cours à ce curieux instinct de destruction qui veut que si c’est pas pour moi, alors personne ne l’aura.
De cela nous sommes prévenus dès le début, car la société royale d’Abyssinie, en nous expliquant l’importance du Manuscrit Hopkins, évoque la chute des nations d’Europe occidentale et la disparition de leurs vestiges car « il convient de rappeler que, pendant près d’un siècle après l’écroulement de la civilisation occidentale, les peuples des nations orientales régénérées se sont livrées à une orgie de destruction insensée de tout ce qui pouvait leur rappeler les jours vécus dans la servitude de ‘’l’homme blanc’’ ».
Dramaturge, scénariste (il adapta L’homme invisible au cinéma), R.C. Sheriff n’en a pas pour autant oublié la littérature. Ainsi Le manuscrit Hopkins trouve complètement sa place dans la veine des post-apo, et peut même se targuer d’avoir inspiré des maîtres de la SF anglaise (Aldriss pour n’en citer qu’un). Soldat blessé à Ypres pendant la 1ère guerre mondiale, on retrouve dans son texte le questionnement des auteurs de cette génération qui vécurent la boucherie des tranchées et en revinrent détruits, déchirés entre l’horreur vaine de ce qu’ils ont vécu et l’espoir que plus jamais cela ne pourrait arriver, l’abîme de la folie ayant été atteinte lors de ces années de massacre.
Écrit en 1939, il n’est pas difficile d’imaginer dans quel état d’esprit était Sherriff lorsqu’il imagina Le manuscrit Hopkins, alors que le moustachu avançait ses pions de conquête sous le regard impuissant (et indifférent) des autres nations européennes.
Le manuscrit Hopkins, R.C. Sherriff (préface de Michaël Moorcock)
413 pages
Éditions l’Arbre Vengeur
Marcelline