Serge Grivat a des côtés looser. Auteur de bandes dessinées en galère, il vient de se faire plaquer par sa maîtresse et s’enfonce sous le poids de ses échecs. Il va de déceptions en défaites et prend chaque coup avec plus de résignation que le précédent.
Jusqu’à ce qu’il trouve au fond de sa poche ce qui ressemble à un briquet métallique. De ce petit rectangle gris ne jaillit aucune flamme, mais un silence assourdissant de fin du monde. Une fois sa terreur maîtrisée, Serge va constater que la réalité est bien meilleure : plutôt que dernier homme sur Terre, il est devenu le seul homme conscient dans un monde au temps figé. Il peut slalomer entre les piétons statufiés en marche, reluquer les filles en toute tranquillité, manger à l’œil… Grisé, il va jouer de cette situation de contrôle qui lui permet, en une pression du doigt, d’immobiliser quand bon lui semble la fourmilière humaine, et passer de l’amusement aux délires les plus terrifiants.
Les questions et jeux autour du temps sont l’un des sujets récurrents et passionnants en science-fiction. Que ce soit par l’uchronie, les voyages temporels, les distorsions ou autre, il y a toujours de quoi faire. Mais ce sujet généralement traité à grande échelle prend ici une dimension toute autre en étant centré sur un individu. Comment réagir dans ce calme blanc, au milieu de cette forêt humaine immobile, quand tout devient à portée et sous contrôle.
Ivre de ce pouvoir une fois le premier choc passé, Serge va prendre possession de toutes les situations possibles, perdre tout sens de la mesure pour mettre enfin en œuvre sa revanche sur le monde. Et le lecteur assiste transi, d’abord aux menus larcins (qui n’a pas rêvé de se servir dans un grand magasin, de goûter des mets inabordables, de soulager un riche passant de quelques billets en toute impunité ?) puis aux moments de délire artistique ou criminel d’un Serge extatique qui ne connaît plus aucune limite.
Accompagnateur, témoin, voyeur, on suit Serge à distance et en même temps fasciné par cet homme qui enfreint tous les codes, dévoré qu’il est par sa rancœur, ses envies de vengeance, et transformé par ce pouvoir qui lui est tombé entre les mains. Mais il y aura forcément un prix à payer, à un moment ou un autre…
Sorti en 1980, L’impasse-temps retrouve une seconde jeunesse aujourd’hui grâce à cette réédition retravaillée et proposée dans la jolie collection de poche Hélios par les Moutons Électriques. Drôle (sisi), cynique, beau (aussi) et original, L’impasse-temps fait du bien et un peu de mal, et c’est parfait!
190 pages
Les Moutons Électriques, collection Hélios
Marcelline