Owen et Duncan ont la mauvaise chance de grandir dans la bourgade canadienne de Niagara Falls, aka Cataract City. Comme le suggère son nom, cette dernière est magnifiquement construite sur les rives du Niagara, à proximité certaine des célèbres chutes du même nom. Ville industrielle sans relief, Niagara Falls se démarque par son usine de biscuits qui fait travailler une grande partie des habitants et pour sa situation idéale, à une traversée en canot des États-Unis. Ville morne, morte, ensuquée dans la farine et le sucre, où l’on reconnaît le poste de chacun par l’odeur qu’il dégage en sortant de la Bisk.
Devenus amis après une bagarre de cour d’école, Owen et Duncan vont vivre de ces aventures « kingiennes » qui vous rapprochent des enfants pour le meilleur et dans le pire lorsque, suite à une représentation de catch, ils sont enlevés par leur héros, Bruiser Mahoney, et se retrouvent à errer des jours seuls dans les bois avant de retrouver leur chemin. Lié à la vie à la mort après cet épisode éprouvant, la traversée de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte va inlassablement les séparer. Owen, promis à une possible grande carrière de basketteur, se voit forcé d’abandonner suite à l’explosion de son genou et rejoint les rangs de la police. Duncan suit son bonhomme de chemin, se fait embaucher à la Bisk et s’installe avec sa petite amie du lycée.
Mais les temps sont durs, les renvois fréquents, et le seul moyen de subsister dans ces moments-là revient à choisir entre combats clandestins et trafics avec l’autre rive. Duncan finira en prison pour une bonne huitaine d’années avant de retourner dans les brumes du Niagara.
Craig Davidson s’est fait connaître de par chez nous avec son très beau recueil de nouvelles Un goût de rouille et d’os, adaptée au cinéma par Audiard sous le titre raccourci De rouille et d’os. On va retrouver dans Cataract City les thèmes chers à Davidson et croisés dans Un goût de rouille et d’os: les rapports entre hommes (entre amis, père/fils), la boxe, les combats clandestins, la grandeur de la nature, la dureté sociale. Si l’on n’est pas non plus dans du Ken Loach, Davidson nous trace un portrait dur de la vie dans cette ville frontalière, sur cette fatalité que porte déjà chaque jeune, qui sait qu’il faut partir pour vivre, mais partir en soit est un geste impossible, obscène. Le seul piment que l’on peut mettre en vivant à Cataract City est l’immersion dans le monde sous-terrain, les combats de chien, la boxe à mains nues, le trafic de cigarettes, espérant trouver là l’adrénaline nécessaire qui donnera un peu d’excitation à la vie.
Un beau roman sur l’amitié, la fatalité et la force des souvenirs d’enfance.
481 pages
Albin Michel
Marcelline