Lucius Marnant est un retraité, bercé par l’ennui de son quotidien. Sa voisine – Mona – du même âge que lui avec laquelle il flirte gentiment et les enterrements de ses amis remplissent sa vie passionnante. Mais voilà Lucius n’arrive pas à subvenir à ses besoins. Lors d’une dispute dans un bar il va prouver qu’il a encore de la frappe et se faire remarquer par un étrange personnage qui va lui faire une proposition pour le moins atypique : des combats de boxe du troisième âge.
Organisés dans le sous-sol d’une boite de nuit, les combats s’enchainent et les papis aussi, Lucius se fait une place et prend petit à petit goût au combat. Mais jusqu’où tiendra-t-il ?
« La foule autour d’un cercle de violence. Deux vieillards en caleçons maculés finissent de se faire du mal. Les coups sont secs. C’est étonnant même comme rien ne ressemble à ce qu’on peut imaginer. C’est la première chose que remarquent les nouveaux arrivants. Le bruit de la viande qui claque contre de la viande. Il n’y a pas d’hurlement de la chaire. C’est de la poésie, ça. C’est du cinéma. Des bruitages de films. Mais ce n’est pas la réalité d’un combat. »
Texte court mais percutant. Satire de notre société consumériste en mal de sensations fortes. Critique d’une société qui ne respecte plus personne et encore moins ses ancêtres. A travers l’histoire de Lucius une interrogation subsiste, à partir de quel moment devient-on de la chair à canon, un produit de divertissement. Quand est-ce que l’on se déshumanise pour devenir une attraction ?
Même si Lucius se sent revivre et devient critique à l’égard des autres personnes âgées qui se contentent d’attendre la mort, ses combats lui enlèvent une part de lui-même. Ne subsiste plus que sa part d’ombre et ce n’est pas sa relation avec Mona qui prouvera le contraire.
« Enlever les êtres et les souvenirs attachés aux êtres. Enlever les lieux et leur cartographie. Enlever les odeurs. Les rues et les bruits entrent et sortent d’une vie. Enlever petit à petit comme on se déleste de ce qui n’a pas de poids. C’est ça le paradoxe. On garde les meubles. Les albums photos. Les vêtements. La vaisselle. Surtout la vaisselle. On garde de vieilles breloques remisées quelque part pendant une vie. On garde toutes ces choses taillées dans de la matière. Tout ce qui pèse et existe et prend de l’espace. Et on se sépare volontiers des souvenirs. »
Tarik Noui sublime son histoire par son texte, par la justesse des ses mots, son rythme, sa poésie. Dissociant la narration et les dialogues le lecteur a une sensation de décalage entre la réalité des faits et la beauté du récit. Très lyrique le texte est presque fait pour être lu à haute voix. Initialement « A nos pères » fut une pièce radiophonique écrite pour France Culture que vous pourrez retrouver sans difficulté sur leur site en streaming.
Ted