En 1741, selon la légende, dans la ville de Dresde, Hermann Karl Von Keyserling souffre d’insomnie et rien ne marche pour l’endormir. Il embauche Johann Gottlieb Goldberg pour lui jouer du clavecin chaque soir pour l’aider à trouver le sommeil. Johann G. Goldberg demande à l’un de ses amis Johann Sébastien Bach de lui écrire quelques pièces. Ainsi seraient nées les Variations de Goldberg mondialement connues aujourd’hui.
« Après avoir longuement réfléchi au problème, il demanda qu’on lui trouve un musicien et fit installer un clavecin dans la pièce attenant à sa chambre. L’homme fut engagé pour jouer toute la nuit et, de cette façon, en écoutant l’instrument, Westfield espérait finir bercé dans les bras apaisants de Morphée.
Ce calcul, cependant, se montra malheureusement erroné. Il n’avait jamais été très intéressé par la musique et se rendit compte que les pincements incessants de l’instrument lui raclaient les nerfs bien plus que ne l’avait fait le silence de la nuit. »
Thomas Westfield, gentilhomme anglais est insomniaque. Ayant essayé pas mal de remèdes pour se soigner, dont des méthodes plus ou moins douteuses, il décide d’engager un jeune écrivain, vivement recommandé par son entourage, pour lui faire la lecture chaque soir afin de le bercer. Samuel Goldberg est cet homme. Mais voila, M.Westfield ne veut pas entendre de livres qu’il connaît déjà, cela le rendrait nostalgique, il préfère que Samuel lui lise une histoire inédite chaque soir, une histoire que l’écrivain aura pris soin d’écrire le jour même.
« Je restai assis devant l’élégant bureau, le papier et les plumes à portée de main. Encore et encore, je me mis à écrire, mais de ces débuts il ne sortait rien. Je repoussais la chaise et fis les cent pas avant de me rasseoir et de prendre une fois de plus la plume. Avec le même résultat. Je sortis dans la propriété du manoir et marchai, les mains jointes dans le dos, mon carnet de notes dans ma poche, et attendant ce petit coup de pouce des dieux qui me ferait démarrer, mais qui, hélas, ne vint pas. »
Gabriel Josipovici en décidant de transposer le concept des « variations de Goldberg » à la littérature fait un coup de maître et un véritable exercice de style. Le récit est coupé en 30 séquences. Variant les styles d’écriture, il élabore un panel de personnages et segmente certains récits en plusieurs parties afin de les semer tout le long du livre. L’auteur arrive même à se justifier, par l’insomnie de M.Westfield et sa demande loufoque à Goldberg, pour s’ouvrir un vaste terrain d’expérimentation et un sacré défi où il pourrait aisément se perdre. Mais bien au contraire, même s’il a mis le temps pour écrire son roman, il s’agit d’une réussite totale, et l’auteur arrive à rendre ses « variations » attirantes, intrigantes et même n’ayons pas peur des mots, envoûtantes !
En effet, à travers le récit et la mise en abyme de l’auteur face au processus créatif et à l’écriture, Gabriel Josipovici arrive à embarquer le lecteur dans ses expérimentations et même à le bercer avec ses récits, on finit par se demander si ce n’est pas nous, lecteurs, qui sommes, in fine, M. Westfield.
Un petit bijou qui mérite une attention toute particulière en cette rentrée littéraire. Un roman qui demandera néanmoins un minimum d’investissement au lecteur, sans tomber pour autant dans un récit exigeant, que l’on se comprenne bien Gabriel Josipovici n’est pas « ennuyeux » à lire et encore moins intellectuellement abscon dans sa narration. Si vous avez l’envie, et n’avez pas peur d’être mené en bateau par l’auteur, alors foncez. Une belle découverte pour moi et très certainement un roman qui pourrait finir dans mon top 5 de 2014.
Quidam éditeur
296 pages (ce n’est pas assez !)
Ted