Lorsque les premiers cas sont apparus il n’y a pas eu d’inquiétude. Puis la virulence du virus, la rapidité de transmission, d’incubation et de décès ont amené les autorités à prendre des mesures un peu plus drastiques: confinement, rassemblement, quarantaine hospitalière. Puis un jour, l’accès à Moscou fut fermé. C’est toute la ville qui venait d’être mise sous quarantaine. Personne n’entre ou ne sort. Venu d’on ne sait où, la maladie, sorte de grippe ultra-virulente, ne fait pas de quartier ni de différence, et une fois conscience faite que les traitements existants ne seront d’aucun secours, les autorités préfèrent confiner en espérant en endiguer la progression.
Anna, son fils Micha et Sergueï son cher et tendre, vivent dans la banlieue de Moscou et voient de loin et dans un brouillard d’incompréhension une menace indistincte s’emparer non seulement de la capitale russe, mais semblerait-il d’une bonne partie des grandes villes mondiales. C’est le père de Sergueï, Boris, qui viendra les sortir de leur torpeur. Il faut partir. Faire des réserves, charger la voiture et s’en aller, vite et loin des villes, loin du monde. A Vongozero, ce lac de république de Carélie à la frontière russo-finlandaise. Sergueï y a une petite maison de chasse sur une petite île. Mais les événements se précipitent, et le départ se fait avec plus de compagnie que prévu. Les voisins et leur petite fille, l’ex-femme de Sergueï et leur fils. C’est dans un climat de fin du monde distante et irréelle que la compagnie prend la route, évitant les villes, allant de rencontres surprenantes en angoisses étouffantes, sans trop savoir jusqu’où les voitures les porteront, ce qu’ils trouveront à Vongozero, si même l’hiver russe qui les enveloppe de sa grisaille glaciale les laissera passer vivant.
C’est du point de vue d’Anna que nous suivrons le groupe dans sa fuite désespérée. Échappant de justesse à la propagation de l’épidémie au-delà du périphérique moscovite, le groupe, composé de six adultes, un ado et trois enfants, fait route vers le nord, pensant y trouver un peu d’accalmie. Mais la maladie qu’ils pensaient précéder se répand tout autour d’eux, il faut éviter les villes et leurs hordes de malades et de pillards, et chaque traversée de villages devient une angoisse constante. Hameaux désertés, morts, cachés, la nuit et la neige ne laissent souvent deviner que ce que l’esprit peut imaginer de pire derrière les murs des maisons. Les tensions dans le groupe de survivants éclosent petit à petit, sur la peur de la contagion, le manque d’essence, de nourriture, le froid, la trop grande promiscuité, les distances trop longues qui semblent ne jamais diminuer. La peur, plus grande et en filigrane tout au long de la route, d’une fuite vaine, et d’une survie qui ne verra jamais un retour à une vie normale. Les personnages se découvrent dans ce climat de fin du monde, les personnalités se déjouent et s’affrontent, chacun voulant sauver sa peau en priorité, mais sachant pertinemment que ce n’est qu’en restant avec le groupe qu’une issue si ce n’est heureuse, en tout cas le moins dramatique possible, peut arriver. Entre égoïsme, terreur, instinct de survie et solidarité subie, Anna ne sait plus qui elle est, de quoi elle serait capable pour survivre et rester avec son fils et son compagnon. Et les longues heures de voiture sur les routes enneigées du nord de la Russie, avec pour seule compagnie le grésillement de la C.B., le craquement de la neige sous les pneus, le ciel gris qui charrie ses cristaux de glace, s’infiltre dans les aérations, pénètre les corps, l’angoisse de ce silence et de ce calme, celle encore plus grande de le voir rompu par la traversée d’un village ou l’apparition subite d’une voiture, tout cela nous enveloppe dans une tension psychologique à la limite du supportable, et l’on voudrait presque, comme Anna, s’endormir sur le siège passager, ne plus avoir à décider, à voir quoi que ce soit, juste s’endormir et se réveiller là-bas, à Vongozero, loin de tout danger.
Yana Vagner nous présente ici un post-apo centré sur l’évolution psychologique de ses personnages. Ici point d’élucidation ou de combat contre la maladie, seul compte la survie, l’échappatoire. Un roman stressant et oppressant qui fait ressortir le loup qui est en chacun de nous!
Mirobole éditions
470 pages
Marcelline