À l’hôpital de Soldotna il y a un mannequin dans lequel le médecin replante tous les hameçons qu’elle a retiré des oreilles, lèvres, paupières… des pêcheurs de saumon. Gracie et son frère justement se retrouve de temps en temps pour aller pêcher sur la Kenai, comme l’ont fait leurs parents, oncles, tantes, comme le font tous les gens de la région. Ici la pêche est héréditaire. Comme la chasse. Et l’alcool. Et l’instinct de survie. Car quand le froid polaire s’insinue dans toutes les failles et se glisse dans les moindre pores, tandis que le soleil reste planqué derrière l’horizon ne laissant passer que de faibles rayons et que les loups hurlent à la lune, la vie devient une chienne, une lutte au quotidien pour ne pas glisser.
« Ils disent: tu es venue au monde dans un bruit de détonation.
Ce qui signifie: Fais quelque chose pour nous mériter »
Nouvelle venue chez Gallmeister, Melinda Moustakis signe ici un formidable recueil. On y suit toute une famille à différent moment. Les épreuves, le quotidien, la filiation, l’échappatoire, tout est évoqué, et traverse les esprits de chacun. La mère qui espère mieux pour sa fille que la vie qu’elle-même a pu avoir ; les expéditions en forêt entre frères et soeurs, grisés par la neige et la liberté, inquiets et alertes à la présence du père ou de la mère dont la gifle est plus froide qu’une poignée de neige ; l’alcool, nécessaire au réchauffement des corps et à la dissolution des âmes. Et bien sûr la pêche, les gestes rituels, la traque patiente, le thermos d’Island special, la lutte et les non-dits.
« Quel est le son d’une rivière? Le son d’une ligne brisant la surface? La Kenai est une épaisse veine brune et le trop-plein du dégel dévale le flanc des montagnes depuis Wally’s Creek et les contreforts du Killey, puis ‘enroule autour de l’île où le docteur possède une cabane. La Kenai est une corde qui étrangle une parcelle de terre en une longue étreinte sinueuse. »
Les personnages de Melinda Moustakis sont des survivants, des battants. Loin d’être honorables, car ils sont aussi violents et lâches, ils sont pourtant plus qu’humains. La vie dans ces incroyables paysages d’Alaska est montrée dans sa lumière la plus crue, et au-delà d’Anchorage point de vie, que de la hargne. Une série de nouvelles qui prend aux tripes tout en distillant ça et là une dose d’espoir, et beaucoup d’humour entre les larmes de glace. Une très belle découverte!
207 pages
Gallmeister
Traduit par Laura Derajinski
Marcelline