1974. Le shérif John Gaines est responsable de la petite ville de Whytesburg, dans le Mississipi. Vétéran de la guerre du Vietnam, il remplit sa tâche hanté par son expérience asiatique. Lorsque les pluies diluviennes libèrent de la rivière le corps d’une jeune femme, Gaines sait qu’il va se retrouver face à une enquête des plus difficiles. En effet, bien que parfaitement conservé, le corps est celui d’une jeune fille disparue en 1954, soit vingt ans plus tôt ! De plus l’autopsie révèle que son cœur a été arraché et remplacé par un petit panier en osier contenant un serpent!
R. J. Ellory est sans doute la personne qui décrit le mieux ces petites villes américaines dans lesquelles tout le monde connaît tout le monde, où un secret le reste tant qu’il est connu par moins de dix personnes – à savoir dix minutes au mieux – et où vous pouvez toujours demander au vieux du coin pour des tuyaux sur n’importe qui. Le climat qui règne dans le Mississipi au milieu des années 70 apporte également beaucoup à la moiteur du récit. Le ségrégationnisme n’est pas encore passé de mode, les croyances vaudoues sont toujours solidement implantées et la moiteur des bayous du sud est propice aux secrets.
Bien que toutes ces idées soient approchées dans le livre, le sujet le plus profondément creusé est celui du retour à la vie normale pour les soldats américains après le Vietnam ou la guerre du Pacifique. Gaines est assez juste là-dessus quand il dit qu’il n’y a que des blessés qui rentrent de la guerre, et que les blessures les plus graves ne sont pas forcément les plus visibles. Quand en plus les cadavres se multiplient autour de Gaines, celui-ci s’imagine revenu dans l’enfer vert du Vietnam, et ses suspects deviennent des ennemis.
L’écriture de R.J. Ellory est d’un pragmatisme incroyable et d’une honnêteté qui en devient palpable. Il peut toucher au sublime quand il s’attache à décrire les sentiments de ses personnages et nous traîner dans le sordide le plus glauque afin de mieux nous imprégner de la misère de ses nombreux personnages secondaires. Les deux extraits suivants illustrent au mieux ces dernières lignes.
« L’amour peut être aveugle. Il peut être silencieux. Il peut se déchaîner comme un torrent ou hurler comme une tempête. Il peut être le début ou la fin d’une vie. Il peut éteindre le soleil, arrêter la mer, illuminer l’ombre la plus profonde. Il peut être la torche qui éclairera la voie vers la rédemption, vers la liberté. […] Nous ne savons pas pourquoi nous éprouvons un tel sentiment envers une autre personne. Nous savons simplement que nous devons être près d’elle, à ses côtés, sentir le contact de sa main, ses lèvres sur notre joue, son odeur, sa main dans nos cheveux, la réalité de son existence, et savoir qu’elle sera toujours chez elle dans notre cœur. »
« Elle avait le teint cireux et la peau sèche d’une junkie, les traits relâchés d’une ivrogne, et l’hygiène personnelle d’une pute à trois dollars. »
Les neuf cercles est un excellent polar, noir comme la nuit et empreint de juste ce qu’il faut de fatalisme pour que l’on s’attache à ses personnages en imaginant bien que tout ne roulera pas jusqu’au bout.
Editions Sonatine
Traducteur: Fabrice Pointeau
574 pages
Jérémy