Récompensé par un Fauve d’Or en 2008, Là où vont nos pères est un roman graphique qui nous entraine dans un autre univers à la fois poétique et étrange, simplement à l’aide d’images plus belles les unes que les autres. Aucun texte, aucun phylactère, simplement des dessins, des expression qui nous racontent la vie plus qu’aucun mot ne pourrait le faire.
C’est l’histoire d’un immigrant qui quitte sa famille et sa ville grise, emplie de silhouettes inquiétantes hérissées de piquants pour aller travailler dans un nouveau pays, un nouveau monde, où tout lui est mystérieux. Le langage, l’écriture, les animaux et même les aliments sont inconnus aussi bien pour l’étranger que pour nous autres lecteurs.
Nous suivons son quotidien, découvrons avec lui les particularités et le mode de fonctionnement de cette société où tout est à découvrir, où tout semble beau mais reste parfois aussi un peu dangereux.
Au fil des jours, l’immigrant rencontre d’autres personnes qui lui content leurs passés, leurs pays natals et pourquoi ils ont dû le quitter. Des histoires touchantes et dures sont retranscrites, sur fond de faits historiques réels; la guerre, l’esclavagisme, l’extermination, tout cela grâce à des images marquantes et bourrées d’émotions.
L’un d’eux évoque notamment comment des géants vêtus de masques de soudeur et armés d’un tube aspirant les minuscules humains pour les envoyer dans des fours portatifs; la terreur et l’horreur sont réellement palpables à travers les cases et la métaphore est d’autant plus marquante qu’elle joue sur la case de l’inimaginable qui pourtant se produit.
Shaun Tan nous livre l’œuvre d’une histoire vieille comme le monde; celle de l’adaptation, de la survie et tient à nous démontrer qu’en chacun se trouve cette force d’intégration et d’ouverture aux autres. C’est une bande-dessinée magistrale et pleine de courage qu’il nous offre ici, car elle met en lumière les sujets sensibles de l’immigration et de la cruauté des sociétés à travers le monde et les siècles. Cependant, elle est aussi porteuse d’un message d’espoir et d’humanisme et elle démontre à tous que même lorsque l’on arrive en terre inconnue sans rien d’autre que son cœur, sa tête et ses mains pour s’en sortir, il y aura toujours des personnes pour nous épauler.
Mais là où l’auteur réalise un véritable tour de force, c’est qu’il nous plonge dans la peau de l’étranger qui ne comprend pas le fonctionnement de ce monde neuf pour lui, qui se perd au milieu de ces nouvelles coutumes, entre deux panneaux d’indications incompréhensibles. Il crée un monde à part, totalement fantasmagorique où le lecteur lui-même n’a que très peu de repère et doit comprendre ce qui l’entoure grâce aux signes et au langage corporel.
En laissant place uniquement aux dessins, il fait de Là où vont nos pères un livre sans frontière, accessible à toutes les cultures, tous les âges et toutes les classes sociales.
A la manière des vitraux qui permettaient aux illettrés de découvrir l’histoire des Saints et de la Bible, l’auteur se sert de l’illustration, seul réel langage universel, véritable espéranto dessiné, afin de véhiculer un message qui aura encore plus d’impact que si il était simplement écrit.
Les illustrations sont belles à en pleurer, lumineuses et poétiques… Rares sont les bandes-dessinées qui tendent à une perfection graphique pareille. La douceur des couleurs sépias et celles nuancées de gris, renvoyant aux passés plus sombres des protagonistes, l’imagination débordante de l’auteur qui évoque les univers du Roi et l’Oiseau de Paul Grimault, des films d’animations des studios Ghibli, tout cela fait de Là où vont nos pères un véritable trésor littéraire.
Car la force des images, c’est que chacun ressent et interprète à sa manière ce qui se cache derrière. Un trait ou une couleur sert de stimuli et renvoi le spectateur à ses connaissances et son vécu propre.
Ce roman graphique est un recueil d’émotions infini, un ouvrage riche où chacun trouvera un message qui lui est destiné, une interprétation qui lui sera propre et qui le renverra à ce moment où lui aussi c’est retrouvé étranger face à ce monde qui l’entourait.
Editions Dargaud
128 pages
Caroline